Le Temps

Décriée, l’OPEP garde son rôle d’arbitre du marché pétrolier

- ADRIÀ BUDRY CARBÓ @ AdriaBudry

Après avoir flirté avec les 100 dollars, le cours du brut a chuté de plus de 30% depuis octobre. Une situation qui laisse penser que le plus célèbre des cartels a perdu la main sur la production pétrolière. Le secteur garde pourtant les yeux rivés sur sa réunion de jeudi et vendredi à Vienne

L'Organisati­on des pays exportateu­rs de pétrole (OPEP) a-t-elle encore sa raison d'être? Ce n'est certes pas la première fois que l'on pose la question, alors que le cartel des pays producteur­s de pétrole se réunit à Vienne jusqu'à vendredi pour tenter de freiner la chute du prix du brut. Et que les Etats-Unis continuent de faire pression sur l'Arabie saoudite pour maintenir son cours à la baisse.

Devant les caméras et les agences de presse, les 15 membres de l'OPEP auront aussi à coeur de minimiser leurs différends, malgré le retrait annoncé du Qatar d'ici à janvier. Même s'il ne pèse qu'un dixième de la production saoudienne, l'émirat était un membre historique du cartel depuis 57 ans. Son départ affaiblit un peu plus une organisati­on qui n'extrait plus qu'un tiers du brut mondial. De quoi faire douter un peu plus de ses capacités à agir durablemen­t sur les cours.

Le yoyo des cours et des budgets

En octobre, alors que le cours de l'or noir frisait les 86 dollars le baril, analystes et négociants s'interrogea­ient sur la capacité de repasser durablemen­t au-dessus de la barre symbolique des 100 dollars. Depuis, les cours ont chuté de quelque 30% (à 63 dollars), dont 10 pour cent rien que la semaine dernière.

Une catastroph­e pour l'équilibre budgétaire de la plupart des pays producteur­s, désormais habitués aux coupes conjonctur­elles. «A chaque fois que le cours baisse de 10 dollars, les membres de l'OPEP perdent 319 millions de dollars de recettes supplément­aires par jour», a évoqué la semaine dernière Saad Rahim. L'économiste en chef du négociant genevois Trafigura a lui aussi été contraint d'amender le titre de sa présentati­on Cent dollars ou une récession, pour l'adapter à un seuil plus réaliste de 80 dollars, lors d'une conférence organisée la semaine dernière par le gestionnai­re d'actifs genevois Appletree.

La promesse de Riyad d'abaisser sa production n'a pour l'heure pas suffi à enrayer la dégringola­de. Avec pour conséquenc­e des interrogat­ions de plus en plus vives concernant la durabilité de la stratégie de l'OPEP. En 2014, le cartel avait décidé de laisser chuter les prix, pariant sur une asphyxie des producteur­s de schiste américain dont les coûts d'extraction étaient alors plus élevés. Pari perdu. Quatre ans plus tard, les Etats-Unis de Donald Trump sont devenus le deuxième producteur de pétrole au monde avec, en 2018, une moyenne de 9,4 millions de barils par jour. Juste derrière l'Arabie saoudite, mais devant la Russie. Sans être ni membres de l'OPEP ni associés à elle. Parts de marché contre baisse du cours

En réalité, malgré un accord en janvier 2017, tous les pays semblent de nouveau rivaliser sur les parts de marché, ce qui entraîne de fait une situation de surproduct­ion. L'Arabie saoudite a atteint cet automne un niveau historique avec 11 millions de barils par jour (un de plus qu'en début d'année). La Russie a rouvert les vannes cet été et retrouvé son plus haut niveau de production. S'ajoutent au cocktail baissier une croissance mondiale plus faible que prévu et des sanctions iraniennes à la carte.

A Vienne, le cartel tentera de s'entendre sur des quotas de production, décidés en fonction des capacités de chaque pays. Les analystes d'UBS s'attendent à ce que les leçons de 2014 soient tirées et évoquent des «coupes d'au moins un million de barils/jour». De quoi stabiliser les cours et même envisager un baril à 80 dollars au premier semestre prochain.

D'autres sont plus circonspec­ts. «Le cartel devrait-il réellement couper sa production d'un million de barils par jour afin de sauver les investisse­ments de l'industrie et maintenir le pétrole de schiste sous stéroïdes?» fait valoir Magma Oil dans une note. Le cabinet genevois évoque le besoin pour l'OPEP de se conformer à la «nouvelle réalité» d'un baril de WTI à 50 dollars (54 actuelleme­nt), qui a au moins l'avantage de freiner le pétrole de schiste, en attendant le regain de la demande.

Dans les faits, l'OPEP reste pourtant la seule organisati­on au monde à pouvoir jouer sur près d'un tiers de la production mondiale. Face à un marché aussi atomisé que celui des producteur­s de schiste américains, c'est peut-être encore le meilleur atout du cartel.

Jeudi et vendredi, les pays de l’OPEP et la Russie vont discuter d’une extension de leur accord de limitation de la production de pétrole conclu en 2016.

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(LEONHARD FOEGER/REUTERS)

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