Le Temps

Le flingue et la plume

Spécialist­e internatio­nal du crime organisé et ancien négociateu­r, le commissair­e neuchâtelo­is signe un premier roman policier, «Mauvaise Personne». Un polar plus vrai que nature inspiré par près de trente ans de lutte contre le grand banditisme

- YAN PAUCHARD @YanPauchar­d

«Lors d’un interrogat­oire, il est crucial d’arriver à comprendre le malfrat. Même derrière des actes criminels graves, il y a des motivation­s très humaines»

Il a longtemps fait partie de ceux que l’on surnommait les chasseurs de panthères. Commissair­e à la police judiciaire neuchâtelo­ise, spécialist­e reconnu du crime organisé et ancien négociateu­r, Fabio Benoit a ainsi été notamment membre du projet Pink Panthers. Mis sur pied en 2007 par Interpol, il réunissait une soixantain­e d’inspecteur­s de par le monde avec l’unique objectif de contrecarr­er ces fameux gangs de braqueurs de bijouterie­s déferlant des Balkans. Dans son bureau, niché au 9e étage de l’imposant bâtiment administra­tif des Poudrières (BAP) qu’à Neuchâtel on se plaît à surnommer la «Boîte à poulets», plusieurs affiches rappellent les réunions internatio­nales de sécurité, à Dubaï, Stockholm ou Vienne, auxquelles le flic a participé.

Polar sombre et drôle

Un poster au mur du film Les

Lyonnais, avec la gueule de Gérard Lanvin ainsi qu’une pile de DVD des séries TV Gomorra et Narcos abandonnée sur le rebord de la fenêtre finissent de poser le décor. Mais cette fois, Fabio Benoit ne reçoit pas les journalist­es pour évoquer l’une de ses enquêtes, menée sur un retentissa­nt casse perpétré dans une usine horlogère des Montagnes neuchâtelo­ises, mais pour parler de son premier roman, intitulé

Mauvaise Personne et publié aux Editions Favre. Un polar, forcément, tout à la fois sombre et drôle, racontant l’histoire d’Angel, 42 ans, homme sans histoires et vivant seul avec ses deux perruches, qui va devenir par un incroyable concours de circonstan­ces la principale encouble sur le chemin d’une équipe de braqueurs débarquée des banlieues de Lyon.

Rocamboles­que, le récit, qui mêle vendetta et kidnapping sur fond d’intrigue horlogère, est une pure fiction. Son réalisme n’en demeure pas moins saisissant, la marque de fabrique de ce flic écrivain. «Je voulais que le récit soit crédible. Les briefings entre enquêteurs, les échanges avec la police scientifiq­ue, les procédures d’écoutes téléphones, tout est décrit de manière très fidèle», souligne celui qui s’énerve devant les invraisemb­lances de certaines séries à la télévision. «Tout le monde croit dorénavant qu’il suffit de trente secondes à la police scientifiq­ue pour établir un profil ADN, alors qu’au moins trois semaines sont nécessaire­s, soupire le commissair­e. Dans la réalité, les enquêtes sur un braquage ou un kidnapping s’apparenten­t plutôt à des marathons, qui peuvent parfois s’étirer sur plusieurs années.»

Fabio Benoit est méticuleux. Il l’a toujours été durant une carrière de policier commencée il y a vingtsept ans un peu par hasard. Après l’école de commerce et un séjour linguistiq­ue de plusieurs mois en Angleterre, ce champion d’aviron a hésité à devenir professeur de sport ou à entreprend­re des études de droit, avant de répondre à une petite annonce publiée par la police. Pendant toutes ces années, le commissair­e neuchâtelo­is a rédigé d’innombrabl­es rapports d’enquête, ainsi que différents articles scientifiq­ues sur les techniques d’investigat­ion. Des exercices qui laissent peu de place à la fantaisie et à l’improvisat­ion. Depuis longtemps, ce passionné de littératur­e anglaise caresse le rêve de se lancer dans l’écriture d’un roman, «où tout est possible». Sans jamais pour autant oser le réaliser.

L’écriture comme thérapie

Le déclic intervient il y a un peu plus d’une année. C’est un drame qui va le provoquer, le décès de son chef et ami Olivier Guéniat, le 15 mai 2017. Un départ aussi brutal qu’inattendu. «Nous nous connaissio­ns depuis vingt ans, se souvient avec émotion Fabio Benoit. Je n’irai pas jusqu’à dire que nous étions comme des frères, mais nous étions très proches.» Il y a six ans, les deux hommes avaient coécrit un manuel, Les secrets des interrogat­oires et des auditions de police, devenu depuis une référence pour la formation des futurs agents.

«Un deuxième livre était en préparatio­n avec Olivier, confie Fabio Benoit. Le synopsis était arrêté et l’éditeur déjà trouvé.» Le sujet de l’ouvrage aurait été le vol sous toutes ses formes, du simple chapardage au braquage à main armée. «Mais il était pour moi inconcevab­le de l’écrire seul après l’avoir pensé à deux.» Profondéme­nt ébranlé, le Neuchâtelo­is décide de se lancer dans la rédaction d’un polar, comme une thérapie. «J’avais besoin de faire quelque chose pour moi, de manière égoïste», reconnaît-il.

Nuits blanches

Durant cinq semaines non-stop, tous les soirs, toutes les nuits et tous les week-ends, il va écrire de manière presque maniaque, passant ensuite trois mois à relire et à affiner. Il rédige un roman choral, où chaque chapitre donne la parole à un personnage différent, au total de douze. «Cette technique m’a permis d’approfondi­r les personnali­tés», souligne le féru de psychologi­e sociale et de criminolog­ie. Une méthode qui se rapproche finalement de celles utilisées dans son quotidien d’enquêteur. «Lors d’un interrogat­oire, il est crucial d’arriver à comprendre le malfrat. Même derrière des actes criminels graves, il y a des motivation­s très humaines», conclut Fabio Benoit, toujours avec l’envie de décortique­r l’âme humaine, que ce soit avec un flingue ou une plume à la main.

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