Le Temps

Marc-Antoine Schaer, le Neuchâtelo­is qui réinvente les sacs airbags

Depuis le petit village de Lignières, Marc-Antoine Schaer vend ses kits airbags aux plus grandes marques de sacs de montagne. Son nouveau système électrique promet de bouleverse­r les habitudes des freeriders et des randonneur­s à skis

- MARC-ANTOINE SCHAER SERVAN PECA @servanpeca

Le Guinness Book n’est pas au courant. Mais Marc-Antoine Schaer détient sans doute un record mondial, celui de l’homme ayant tiré le plus grand nombre de fois sur la poignée qui gonfle l’airbag de son sac de montagne. «Des milliers», répond-il sans calculer.

Non pas que le fondateur d’Alpride soit une victime d’avalanches en série. Mais voilà bientôt dix ans que, depuis le petit village de Lignières (NE), au pied du massif jurassien, il conçoit des kits airbags, qu’il les teste et qu’il les vend aux plus grandes marques de sacs de montagne. La maison familiale dans laquelle Marc-Antoine Schaer nous reçoit est aussi le siège d’Alpride, qui compte trois employés et s’est entourée de 18 sous-traitants.

Scott, Millet, Black Diamond et bien d’autres… Cet ingénieur diplômé de l’EPFL les a d’abord conquis avec ses cartouches jetables, plus compactes et plus légères que celles des concurrent­s. Aujourd’hui, il aspire même à révolution­ner la pratique du hors-piste, avec l’invention d’un système électrique utilisant des «supercapac­ités».

«Je n’y avais même pas pensé»

Pour tous les fabricants, le défi technique est de disposer d’une puissance suffisante pour remplir un volume de 150 litres en moins de cinq secondes. Marc-Antoine Schaer a eu l’idée d’utiliser le potentiel du graphène, plutôt que des batteries lithium-ion, pour activer le gonflage. Avantage décisif: la résistance aux basses températur­es qui, contrairem­ent aux autres systèmes électrique­s, permet de ne pas devoir surdimensi­onner la batterie. «Je me suis demandé pourquoi personne n’y avait pensé avant. Et je me suis dépêché de déposer les brevets.»

Marc-Antoine Schaer est descendu à la cave pour chercher son matériel de démonstrat­ion. Le temps d’observer la pièce à vivre dans laquelle il nous a reçu. Des peaux de bêtes sur des chaises au design scandinave, un chien paisible couché à côté des caisses de jouets débordées, une paire de skis en bois d’un autre âge posée au bout de la grande baie vitrée, une horloge neuchâtelo­ise disposée à côté de la cuisine ouverte.

Il revient les bras chargés, s’étend en explicatio­ns techniques et s’en excuse plusieurs fois. Il finit aussi par avouer qu’il avait omis le plus grand avantage de son invention: le fait que son système soit électrique et rechargeab­le permet aux riders et aux randonneur­s de tester l’airbag plusieurs fois, sans devoir racheter une cartouche et la faire réinstalle­r chez un vendeur ou un fabricant. «Il y a énormément de pratiquant­s qui n’ont jamais tiré sur la poignée, s’exclame Marc-Antoine Schaer. Pourtant, plus on essaie, plus on sera prêt le jour où on en aura vraiment besoin.»

Deux fois moins de morts

Arrive la question évidente: l’efficacité des airbags. En 2014, une étude internatio­nale à laquelle a participé le SLF de Davos a conclu que ceux-ci doublent les chances de survie dans une coulée. Mais Marc-Antoine Schaer insiste: il déteste le terme de «sacs anti-avalanche». Autrement dit, ce ne sont pas des assurances vie. Un pousseau-crime, tout du moins? «C’est le même débat que les DVA il y a vingt ans. Ce qui tue le plus, aujourd’hui, c’est la GoPro et le selfie!»

Marc-Antoine Schaer est un ancien snowboarde­r. Aujourd’hui, il préfère la peau de phoque. Son footing à lui, c’est la montée au Chasseral. En hiver, il y va quatre fois par semaine. A peu près toujours au même moment, entre les mails et les téléphones du matin avec ses partenaire­s asiatiques et les premiers contacts avec l’Amérique du Nord, en milieu d’aprèsmidi. Souvent, il redescend à skis. Mais quand la neige est de mauvaise qualité, il revient dans son jardin en parapente.

Depuis sa villa jusqu’au sommet voisin, il y a 4 kilomètres et 675 mètres de montée. On le précise car pour lui, c’est une balade, une broutille. Marc-Antoine Schaer avale chaque année 50000 mètres de dénivelé positif. Il en est à sa septième (grande) Patrouille des glaciers.

L’homme de 48 ans ne compte plus les sorties à skis. Mais celle du 20 mars 2005, il s’en souvient très bien. Il est en train de monter sur le glacier d’Oberaletsc­h avec des amis. Il est tôt, les lampes frontales scindent la nuit, il est en troisième position. «On allait s’encorder 100 mètres plus loin.» Cent mètres trop loin.

Marc-Antoine Schaer tombe dans une crevasse. Par chance, le pont de neige qui a cédé sous ses lattes l’accompagne pendant sa chute et finit par amortir le choc, 17 mètres plus bas, au fond du trou dans lequel il reste une vingtaine de minutes avant d’être secouru. Il ressortira de cette mésaventur­e avec des fractures au nez, à l’arcade et au coccyx notamment.

Démocratis­er les airbags

L’histoire voudrait que ce soit cet accident qui ait provoqué la naissance d’Alpride. Ce n’est qu’à moitié vrai. C’est en 2008 que le vrai déclic a lieu, pendant une virée de plusieurs jours au départ de la Konkordia Platz, au milieu des glaciers bernois. «J’avais un des premiers sacs Snowpulse, il faisait 3,5 kg. C’est là que je me suis dit qu’il fallait inventer quelque chose de plus léger, pour démocratis­er les airbags.»

Quelques mois plus tard, il lance son projet. En 2012, il remporte le Prix BCN de l’innovation et empoche 250 000 francs. Aujourd’hui, Alpride lance même son propre sac cet hiver, vendu 1000 francs. Sélectif, pour un produit censé sauver des vies, non? «On fait ce qu’on peut! C’est un produit suisse, et qui en plus est un produit de sécurité qui a demandé treize mois de certificat­ions. Le dossier fait 357 pages», rétorque-t-il. Avant de répliquer par l’implacable: «Une veste en Gore-Tex à 600 francs, ça ne choque personne?!»

«Le sac airbag n’est pas un pousse-au-crime. Ce qui tue le plus, c’est la GoPro et le selfie!»

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