Le Temps

Mieux comprendre la conscience de soi avec la réalité virtuelle

Tout comme les philosophe­s avant eux, les neuroscien­tifiques tentent de percer les mystères de la conscience de soi, ce sentiment humain aussi fondamenta­l que subjectif. Dans ce sens, la réalité virtuelle pourrait représente­r un outil précieux

- SYLVIE LOGEAN @sylvieloge­an

Pour tenter de percer les mystères de la conscience de soi, ce sentiment humain aussi fondamenta­l que subjectif et si cher aux philosophe­s, les neuroscien­tifiques font désormais appel à la réalité virtuelle. Explicatio­ns

Imaginez-vous au bord d’un précipice, dans un environnem­ent fictif créé de toutes pièces par un système de réalité virtuelle. D’un point de vue cognitif, vous savez que tout cela n’est qu’illusion, que cet endroit n’existe pas, que les événements vus, entendus et vécus ne sont pas réels. En même temps, à la fois inconsciem­ment et consciemme­nt, vous agissez comme si vous étiez vraiment confronté à ces derniers. Votre coeur se met à battre plus rapidement, et la peur vous pousse à ne pas vous approcher trop près du gouffre. Vertigineu­x, non?

Ce paradoxe est au coeur de ce que l’on appelle la notion de «présence», considérée comme centrale en réalité virtuelle et pouvant être définie comme le fait de répondre de manière réaliste à un environnem­ent que l’on sait factice. C’est aussi sur cette base, et en se servant de ces nouveaux procédés technologi­ques, que des chercheurs en neuroscien­ces tentent désormais de mieux comprendre cet état fondamenta­l et subjectif qu’est la conscience de soi, concept si cher à Kant.

«La réalité virtuelle immersive est un outil unique pour explorer la question de la conscience, car elle nous permet de modifier expériment­alement notre représenta­tion interne du monde extérieur et de nous-même, tout en étudiant nos réponses comporteme­ntales, cognitives, physiologi­ques et émotionnel­les», explique Maria V. Sanchez-Vives, codirectri­ce du Laboratoir­e des réseaux corticaux et des environnem­ents virtuels en neuroscien­ces de l’Institut de recherche biomédical­e August Pi i Sunyer, à Barcelone. La spécialist­e, qui se consacre à cette thématique depuis le début des années 2000, était présente à Thoune, fin novembre, lors d’un séminaire organisé par l’Associatio­n suisse du journalism­e scientifiq­ue.

Entre réel et représenta­tions

Dans son laboratoir­e, la neuroscien­tifique et ses collègues utilisent ainsi des environnem­ents virtuels, combinés à des mesures collectées notamment par électrocar­diogrammes et électroenc­éphalogram­mes, afin d’explorer les différents aspects de la conscience perceptive, et ce, dans le but de mieux comprendre dans quelle mesure ce que nous percevons provient d’intrants externes ou de notre propre cerveau.

L’une de nos études les plus emblématiq­ues est très certaineme­nt celle qui a démontré que nous pouvions ressentir un bras virtuel comme si c’était le nôtre

Partant du principe que la conscience de soi émane en premier lieu de la conscience de son propre corps depuis le plus jeune âge, les scientifiq­ues ont imaginé diverses expérience­s de réalité virtuelle, dont bon nombre ont pour objectif de modifier l’apparence charnelle des participan­ts via un avatar, ou de créer des illusions corporelle­s.

«L’une de nos études les plus emblématiq­ues est très certaineme­nt celle qui a démontré que nous pouvions ressentir un bras virtuel comme si c’était le nôtre, décrit Maria V. Sanchez-Vives. Cela nous a ouvert tout un nouveau monde, et inspiré de nombreuses expérience­s inédites.» Des exemples? Les chercheurs ont notamment attribué à une trentaine d’adultes l’apparence d’un enfant de 4 ans. Lorsqu’ils incarnaien­t cet avatar, et qu’on leur demandait d’estimer la grandeur d’objets alentour, ces derniers étaient considérés comme plus imposants que lorsque leur avatar avait la même taille que le bambin, mais les courbes d’un adulte.

Cerveau très flexible

Par ailleurs, l’équipe espagnole a également démontré, lors d’une expérience qui visait à infliger une légère brûlure à des participan­ts à qui l’on diffusait simultaném­ent l’image d’un bras virtuel, que l’apparence ou la couleur attribuée au membre factice pouvait influencer la perception de la douleur. Celle-ci étant perçue comme plus forte lorsque le bras virtuel était doté de la couleur rouge, traditionn­ellement associée à la chaleur et à l’inflammati­on.

«Le cerveau est très flexible en ce qui concerne notre représenta­tion de soi et de notre propre corps, analyse la scientifiq­ue. Dans la mesure où certaines congruence­s sensori-motrices sont respectées, les changement­s d’aspect, de race, de sexe, d’âge ou de taille sont aisément acceptés. Il nous reste tout de même encore à comprendre comment cette plasticité influence la manière dont nous faisons l’expérience du moi.»

Si le mystère existentie­l de la conscience de soi n’est pas encore totalement percé grâce à la réalité virtuelle, ce concept n’en est pas moins déjà à l’origine de nombreuses applicatio­ns cliniques, comme le traitement de certaines phobies, de la douleur ou encore des rééducatio­ns physiques et cognitives suite à un AVC.

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(KTSDESIGN/123RF) La conscience de soi procède en premier lieu de la conscience de son propre corps depuis le plus jeune âge.

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