Mieux comprendre la conscience de soi avec la réalité virtuelle
Tout comme les philosophes avant eux, les neuroscientifiques tentent de percer les mystères de la conscience de soi, ce sentiment humain aussi fondamental que subjectif. Dans ce sens, la réalité virtuelle pourrait représenter un outil précieux
Pour tenter de percer les mystères de la conscience de soi, ce sentiment humain aussi fondamental que subjectif et si cher aux philosophes, les neuroscientifiques font désormais appel à la réalité virtuelle. Explications
Imaginez-vous au bord d’un précipice, dans un environnement fictif créé de toutes pièces par un système de réalité virtuelle. D’un point de vue cognitif, vous savez que tout cela n’est qu’illusion, que cet endroit n’existe pas, que les événements vus, entendus et vécus ne sont pas réels. En même temps, à la fois inconsciemment et consciemment, vous agissez comme si vous étiez vraiment confronté à ces derniers. Votre coeur se met à battre plus rapidement, et la peur vous pousse à ne pas vous approcher trop près du gouffre. Vertigineux, non?
Ce paradoxe est au coeur de ce que l’on appelle la notion de «présence», considérée comme centrale en réalité virtuelle et pouvant être définie comme le fait de répondre de manière réaliste à un environnement que l’on sait factice. C’est aussi sur cette base, et en se servant de ces nouveaux procédés technologiques, que des chercheurs en neurosciences tentent désormais de mieux comprendre cet état fondamental et subjectif qu’est la conscience de soi, concept si cher à Kant.
«La réalité virtuelle immersive est un outil unique pour explorer la question de la conscience, car elle nous permet de modifier expérimentalement notre représentation interne du monde extérieur et de nous-même, tout en étudiant nos réponses comportementales, cognitives, physiologiques et émotionnelles», explique Maria V. Sanchez-Vives, codirectrice du Laboratoire des réseaux corticaux et des environnements virtuels en neurosciences de l’Institut de recherche biomédicale August Pi i Sunyer, à Barcelone. La spécialiste, qui se consacre à cette thématique depuis le début des années 2000, était présente à Thoune, fin novembre, lors d’un séminaire organisé par l’Association suisse du journalisme scientifique.
Entre réel et représentations
Dans son laboratoire, la neuroscientifique et ses collègues utilisent ainsi des environnements virtuels, combinés à des mesures collectées notamment par électrocardiogrammes et électroencéphalogrammes, afin d’explorer les différents aspects de la conscience perceptive, et ce, dans le but de mieux comprendre dans quelle mesure ce que nous percevons provient d’intrants externes ou de notre propre cerveau.
L’une de nos études les plus emblématiques est très certainement celle qui a démontré que nous pouvions ressentir un bras virtuel comme si c’était le nôtre
Partant du principe que la conscience de soi émane en premier lieu de la conscience de son propre corps depuis le plus jeune âge, les scientifiques ont imaginé diverses expériences de réalité virtuelle, dont bon nombre ont pour objectif de modifier l’apparence charnelle des participants via un avatar, ou de créer des illusions corporelles.
«L’une de nos études les plus emblématiques est très certainement celle qui a démontré que nous pouvions ressentir un bras virtuel comme si c’était le nôtre, décrit Maria V. Sanchez-Vives. Cela nous a ouvert tout un nouveau monde, et inspiré de nombreuses expériences inédites.» Des exemples? Les chercheurs ont notamment attribué à une trentaine d’adultes l’apparence d’un enfant de 4 ans. Lorsqu’ils incarnaient cet avatar, et qu’on leur demandait d’estimer la grandeur d’objets alentour, ces derniers étaient considérés comme plus imposants que lorsque leur avatar avait la même taille que le bambin, mais les courbes d’un adulte.
Cerveau très flexible
Par ailleurs, l’équipe espagnole a également démontré, lors d’une expérience qui visait à infliger une légère brûlure à des participants à qui l’on diffusait simultanément l’image d’un bras virtuel, que l’apparence ou la couleur attribuée au membre factice pouvait influencer la perception de la douleur. Celle-ci étant perçue comme plus forte lorsque le bras virtuel était doté de la couleur rouge, traditionnellement associée à la chaleur et à l’inflammation.
«Le cerveau est très flexible en ce qui concerne notre représentation de soi et de notre propre corps, analyse la scientifique. Dans la mesure où certaines congruences sensori-motrices sont respectées, les changements d’aspect, de race, de sexe, d’âge ou de taille sont aisément acceptés. Il nous reste tout de même encore à comprendre comment cette plasticité influence la manière dont nous faisons l’expérience du moi.»
Si le mystère existentiel de la conscience de soi n’est pas encore totalement percé grâce à la réalité virtuelle, ce concept n’en est pas moins déjà à l’origine de nombreuses applications cliniques, comme le traitement de certaines phobies, de la douleur ou encore des rééducations physiques et cognitives suite à un AVC.
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