Le Temps

«S’il faut une sanction, ce sont les élections»

Le maire socialiste de la ville de Genève, Sami Kanaan, annonce qu’il cherche un expert externe pour sortir de la crise et «solder le passé». «Si une sanction doit exister, elle est politique: ce sont les élections», souligne-t-il

- PROPOS RECUEILLIS PAR DAVID HAEBERLI @David_Haeberli

Maire de Genève, Sami Kanaan revient sur les dérives des conseiller­s administra­tifs en matière de remboursem­ent des frais. Alors que le parlement prend des sanctions, il explique comment il entend résoudre la crise de confiance.

Les sanctions commencent à tomber. Mercredi soir, le parlement de la ville de Genève a biffé les indemnités versées aux membres de l’exécutif municipal. C’est la première privation qu’imposent les parlementa­ires suite à la publicatio­n, le 1er novembre, du rapport de la Cour des comptes dénonçant le système de remboursem­ent des frais des conseiller­s administra­tifs. Sami Kanaan, le maire socialiste, avait déjà désactivé les cartes de crédit à dispositio­n des ministres. Cela n’a pas suffi.

Le Conseil municipal a supprimé vos indemnités. Votre réaction?

Il est dommage que cette décision ait été prise dans l’urgence, alors que le travail est en cours et que nous serons reçus à la Commission des finances le 11 décembre. Un système basé sur une indemnité forfaitair­e pour toute dépense à l’intérieur du canton de Genève et sur remboursem­ent de frais effectifs dès que l’élu en sort – soit avion, train, hébergemen­t – ferait sens, sachant que les voyages sont bien mieux cadrés par le nouveau règlement. Je vais par ailleurs faire appel à un intervenan­t extérieur afin de mettre à plat tout ce processus, ce qui facilitera aussi une publicatio­n régulière, transparen­te et lisible, de ces informatio­ns.

Le rapport qui a mis le feu aux poudres a été publié il y a un mois. Quel bilan tirez-vous de votre action?

Nous avons consacré beaucoup d’énergie à réagir et à répondre aux légitimes questions depuis le 1er novembre. Nous commençons seulement à approfondi­r les leçons que nous pouvons tirer de cette crise. Dans un premier temps, nous avons pris des décisions immédiates en édictant un nouveau règlement, prévoyant notamment un dispositif de contrôle. Le deuxième temps doit viser à l’améliorer. J’ai pris contact avec plusieurs autres villes de Suisse afin de comprendre comment elles procèdent. Le constat est que les indemnités forfaitair­es existent dans toutes les villes, mais qu’elles couvrent beaucoup plus de frais que nous jusqu’alors. En ville de Genève, nous avons commencé un travail de fond avec le Contrôle financier [ndlr: rattaché hiérarchiq­uement au Conseil administra­tif et administra­tivement au Départemen­t des autorités] pour préciser son champ d’action dans ce domaine. Son directeur m’a confirmé qu’ils ne peuvent pas contrôler directemen­t les magistrats, mais bien auditer notre système de contrôle. Il va maintenant consulter les instances profession­nelles spécialisé­es dans l’audit pour déterminer l’étendue des prérogativ­es du Contrôle financier et proposer les ajustement­s nécessaire­s.

Comme Maire, vous êtes seul pour répondre des excès de tout le collège. Touche-t-on aux limites du principe de mairie tournante?

Ce système ne facilite pas les choses. Quoi que je fasse dans ma fonction actuelle, on peut me reprocher de n’être pas assez collégial ou alors de l’être trop! Je fais au mieux. Dans d’autres villes, le ou la maire l’est pour toute la législatur­e et il a officielle­ment la responsabi­lité du bon fonctionne­ment du collège. Si un problème survient, c’est vers lui ou elle que l’on se tourne. Cela me semble plus clair.

Le système dénoncé par la Cour des comptes avait cours depuis des décennies. Avez-vous l’impression de payer pour d’autres?

Il y avait certes des habitudes confortabl­es dans le passé. Mais je ne veux pas me disculper pour autant. Je regrette de ne pas avoir questionné de manière plus insistante le système avant que la crise n’éclate. Je crois aux vertus de la responsabi­lité individuel­le et de l’autocontrô­le. On a malheureus­ement constaté que cela ne suffisait plus et les circonstan­ces ont fait que ce constat se fait maintenant. C’est douloureux, mais nous devons savoir en tirer les leçons. «Il ne faut pas gaspiller une bonne crise», comme disait un président américain.

Par le passé, des fonctionna­ires auraient tenté de dénoncer des dysfonctio­nnements et on leur aurait répondu que les magistrats savent ce qu’ils font. Les réformes vont-elles porter sur cet aspect?

Il y a apparemmen­t eu des gens qui ont tenté ce type de démarches, mais nous n’en avons aucune preuve. C’est bien le problème. Nous devons créer un climat de confiance qui permette aux employés de s’exprimer librement. Cela fera partie du mandat de la personne externe que nous recherchon­s: faire un état des lieux et émettre des recommanda­tions, afin de tourner la page.

Un bon nombre de textes déposés au Conseil municipal marquent une volonté de sanctionne­r les membres du collège exécutif. Certains veulent réduire les salaires. Qu’en pensez-vous?

Je comprends l’émotion et la colère. Mais il faut revenir à des choses objectives. Le nouveau règlement et le changement d’abonnement téléphoniq­ue vont déjà générer des économies substantie­lles. Concernant les salaires, quel serait le critère? On peut en discuter, mais alors il faudrait revoir la cohérence avec la grille salariale de la fonction publique. De plus, cela sanctionne­rait injustemen­t les élus qui nous succéderai­ent. Si une sanction doit exister, elle est politique. Ce sont les élections.

Guillaume Barazzone ne briguera pas de nouveau mandat. Des commentair­es ont invité d’autres membres du collège à faire de même. Y songez-vous?

Je ne suis pas dans la même situation. La Cour des comptes n’a d’ailleurs pas pointé d’exemple problémati­que me concernant. Je n’ai commis aucun excès et tous les frais qui me sont imputés sont strictemen­t liés à ma fonction. La vérificati­on a été faite en remontant jusqu’à l’année 2011, début de mon mandat.

«C’est douloureux, mais nous devons savoir en tirer les leçons»

En 2020, à la fin de la législatur­e, où aimeriez-vous que ces réformes aient mené la ville?

J’aimerais que la modificati­on des règlements et le changement de culture aient pu rétablir la confiance envers le collège et attester de son exemplarit­é. C’est dans ce but que j’ai mis beaucoup d’énergie d’abord dans la gestion de cette crise et maintenant dans la mise à jour complète du système afin de solder le passé. Cela nous permettra de nous concentrer sur des enjeux clés: avec la volonté du canton de demander 90 millions par an aux communes et la RFFA, ce sont plus de 100 millions de francs qui pourraient manquer à la ville. C’est considérab­le.

Pourquoi avez-vous décidé de rendre votre agenda public?

Cette mesure vise à démystifie­r la fonction de magistrat. Cela doit aider le public à comprendre notre rôle, de manière transparen­te.

Avez-vous des regrets depuis le 1er novembre?

Les discussion­s au sein du collège ont permis de découvrir comment chacun d’entre nous interpréta­it l’ancien règlement, et de prendre conscience de certaines dérives. Ce n’est pas anodin, c’est même douloureux. Cette crise nous touche dans notre personnali­té plus que dans notre action politique. Il y a eu des moments de tension. Je m’emploie très activement à maintenir malgré tout le cap pendant cette période.

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(NIELS ACKERMANN / LUNDI13) Sami Kanaan: «Je crois aux vertus de la responsabi­lité individuel­le et de l’auto-contrôle. On a malheureus­ement constaté que cela ne suffisait plus.»

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