Le Temps

Pourquoi Huawei se retrouve au coeur de la bataille sino-américaine

L’arrestatio­n au Canada de Meng Wanzhou, haut cadre de Huawei, pourrait mettre en péril les négociatio­ns commercial­es entre Washington et Pékin

- FRÉDÉRIC KOLLER @fredericko­ller

Le samedi 1er décembre, alors que Donald Trump et Xi Jinping s’accordent à Buenos Aires sur une trêve dans leur bras de fer commercial, Meng Wanzhou est arrêtée à l’aéroport de Vancouver sur demande de la justice américaine. Meng Wanzhou? A 46 ans, elle est l’une des quatre vice-présidents et la directrice financière de Huawei, société basée à Shenzhen qui s’est imposée comme le principal équipement­ier télécom dans le monde. C’est aussi la fille de Ren Zhengfei, fondateur et directeur du groupe, un ancien ingénieur de l’armée chinoise entré au Parti communiste en 1978 avant de se lancer dans les affaires, en 1987.

Ni la justice américaine ni celle du Canada n’ont communiqué les raisons de cette arrestatio­n. Mais selon des médias nord-américains, un procureur de New York demande son extraditio­n car Huawei est soupçonné d’avoir violé les sanctions américaine­s frappant l’Iran et d’autres pays. A Shenzhen, Huawei nie, affirmant s’être au contraire conformée à toutes les sanctions frappant l’Iran, qu’elles soient américaine­s, européenne­s ou de l’ONU. Pékin a protesté sitôt l’informatio­n rendue publique, jeudi, affirmant que Meng Wanzhou n’a violé aucune loi, et demande sa relaxe immédiate.

Un risque pour la sécurité nationale

Huawei se retrouve ainsi au coeur du conflit sino-américain. C’est tout sauf une surprise. Ce printemps, la justice américaine avait ouvert une enquête à l’encontre de Huawei afin de savoir si elle avait enfreint un embargo. En août, Donald Trump interdisai­t l’achat d’équipement­s de la firme chinoise pour le réseau gouverneme­ntal américain au nom de la sécurité nationale. Depuis, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et la Grande-Bretagne ont émis de semblables réserves pour limiter l’accès de leur territoire à Huawei.

Récemment, le chef du renseignem­ent canadien, David Vigneault, mettait en garde contre la «tendance à l’espionnage soutenu par des Etats» visant les technologi­es du Canada, y compris la 5G. Une nouvelle loi chinoise sur le renseignem­ent décrétant que «les organisati­ons et les citoyens doivent soutenir, coopérer et collaborer avec le travail du renseignem­ent national» a par ailleurs alerté les autorités australien­nes. Huawei est désormais considérée comme un risque pour le vol de technologi­e et la sécurité par l’ensemble des pays du Five Eyes, le réseau d’espionnage dirigé par les Etats-Unis comprenant la Grande-Bretagne, le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. L’une des craintes des agents de ce réseau est que la Chine puisse couper les communicat­ions d’un pays en ayant pris le contrôle de segment des équipement­s de leur infrastruc­ture nationale.

Pour la Chine, Huawei est de première importance. Non pas pour l’espionnage, du moins officielle­ment (Pékin et la firme nient tout lien organique), mais pour imposer un premier champion industriel au niveau mondial, ce qui s’inscrit dans le programme de développem­ent technologi­que voulu par Xi Jinping d’ici à 2025. Avec plus de 180000 employés, Huawei est très présente en Asie, en Afrique et de plus en plus en Europe. Elle est devenue le deuxième fabricant de smartphone­s, derrière Samsung. Sa part du marché mondial des équipement­s de télécommun­ication la place aux avant-postes des nouvelles normes de la 5G, un avantage stratégiqu­e pour Pékin. Le résultat d’un pillage technologi­que, accusent aujourd’hui les Etats-Unis.

Nouveau contrat en Europe

Que faisait Meng Wanzhou ce jour-là à Vancouver? Elle se savait dans le viseur de la justice américaine. Dans une interview au Beijing News, en 2013, elle expliquait s’être vu refuser un visa de sortie de son pays car elle représenta­it pour Pékin un «risque à l’émigration». Elle possède toutefois également une carte d’identité de Hong Kong, comme son père. Son arrestatio­n pourrait pourtant être liée à une autre activité, estime le magazine économique de Canton Caixin. Meng Wanzhou a autrefois été membre de la direction de Skycom Tech Co. Ltd, une société elle aussi accusée d’avoir contourné l’embargo américain sur les ventes de technologi­es à l’Iran.

Ce vendredi, la justice canadienne doit statuer sur sa demande de remise en liberté conditionn­elle. Si elle devait finalement être extradée vers les Etats-Unis, son cas pourrait sérieuseme­nt entraver toute tentative de réconcilia­tion commercial­e entre Washington et Pékin. Dans l’immédiat, cela n’empêche pas la progressio­n de Huawei. Mercredi, de passage à Lisbonne, Xi Jinping supervisai­t la signature d’un nouveau contrat avec le numéro un portugais de la téléphonie, Altice. Selon le South China Morning Post de Hong Kong, il s’agit pour Huawei du 23e «réseau global» pour installer la 5G dans un pays, 15 se situant en Europe.

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MENG WANZHOUDIR­ECTRICE FINANCIÈRE DE HUAWEI

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