Le Temps

L’homme qui a renoncé au Conseil fédéral

Pirmin Bischof a préféré être «un bon père» plutôt que ministre. Grand favori à la succession de Doris Leuthard, le sénateur soleurois s’explique et plaide pour une politique familiale plus offensive

- MICHEL GUILLAUME, BERNE @mfguillaum­e

Le 5 décembre à 9h32, il a été l’un des premiers à féliciter Viola Amherd lorsque l’Assemblée fédérale l’a élue pour succéder à Doris Leuthard. Pourtant, Pirmin Bischof aurait pu être à sa place. En septembre dernier, il figurait parmi les papables favoris pour succéder à la ministre de l’Energie. Mais il a fini par renoncer le 19 octobre pour des raisons familiales.

«Cela a été une décision vraiment difficile», explique-t-il. En 2015, le conseiller aux Etats soleurois (59 ans) a épousé, en présence de Doris Leuthard, une femme qui achève ses études de sciences politiques. Tous deux ont deux filles de 3 ans et 6 mois. Cette nouvelle situation était-elle compatible avec la fonction de conseiller fédéral? Pirmin Bischof emmène sa famille en Grèce pour des vacances d’une semaine. «Ma femme était d’accord de me soutenir», confiet-il. La veille de son retour en Suisse, il annonce cependant sur Twitter qu’il ne se lancera pas dans la course. «J’aurais aimé devenir un conseiller fédéral fort, mais je tiens surtout à être un bon père.»

Cruel dilemme: Pirmin Bischof ne cache pas qu’il a beaucoup échangé et consulté. Avec sa femme bien sûr, mais aussi avec de nombreux politicien­s connaissan­t bien la fonction, qui l’ont pour la plupart encouragé à être candidat. Au bout de sa réflexion, le bienêtre de la famille l’emporte. «J’ai soudain réalisé que je ne serais plus maître de mon agenda en tant que conseiller fédéral.»

Cela a été l’argument décisif, déclaret-il au lendemain de l’élection de Viola Amherd. Juste après, il participe au traditionn­el repas du groupe PDC, qu’il quitte prématurém­ent pour aller chercher sa fille à la crèche. «Ce serait difficile en tant que conseiller fédéral. J’aurais dû faire trop de compromis au détriment de ma famille.»

Ce n’est donc pas une question de charge de travail. En dehors de son mandat de sénateur, il dirige une étude d’avocat et ne compte ainsi plus ses heures. Mais en tant qu’indépendan­t, il reste libre de composer ses horaires. «Si l’une des filles est malade, je peux rester à la maison. Et si je veux aller luger un après-midi avec elles en hiver, j’y vais.» Depuis qu’il est père, il a beaucoup restreint le nombre d’événements publics auxquels il assiste le soir.

Cinq conseiller­s fédéraux sans enfants

Durant la campagne électorale, une polémique a éclaté: «Ce sont des hommes et des femmes sans enfants qui gouvernent la Suisse», a déploré la Weltwoche. «Les parents ne font-ils pas une meilleure politique avec une vision à plus long terme?» a-t-elle interrogé.

Effectivem­ent, seuls Ueli Maurer et Alain Berset ont des enfants (six et trois), tandis que les deux nouvelles élues n’en ont pas. Cela dit, Pirmin Bischof se refuse d’entrer dans la polémique. «On peut faire une bonne politique avec ou sans enfants», est-il persuadé. Mais il concède une chose: «Il est vrai que le fait d’être parent oblige à réfléchir en termes de génération­s. Je tiens à léguer à mes enfants un monde leur offrant au moins la même qualité de vie et des assurances sociales comme l’AVS financière­ment saines», insiste-t-il.

Que cela signifie-t-il sur le plan de la politique familiale, si chère au PDC? Pirmin Bischof sourit: «La Suisse est un pays riche qui fait une politique familiale pingre, dont l’approche est trop défensive», regrette-t-il. Ici, on considère que la famille est du ressort du privé. Selon lui, il y a encore trop peu de crèches, qui de surcroît sont trop chères. «Il n’est pas acceptable qu’une famille doive renoncer aux services d’une crèche parce qu’elle n’en a pas les moyens financiers.»

En matière d’égalité des genres, Pirmin Bischof s’est déjà beaucoup battu, même s’il est opposé aux quotas. Au milieu des années 1990, le jeune avocat a assumé la défense de quelque 500 femmes – infirmière­s, ergothérap­eutes et autres physiothér­apeutes – dans le cadre d’une plainte collective dans le canton de Soleure. Elles touchaient un salaire inférieur aux hommes de 5% pour la part inexplicab­le. «Nous avons gagné au Tribunal fédéral.»

Dans l’immédiat, le prochain combat sera consacré au congé parental. Face à l’initiative du syndicat Travail.Suisse qui réclame quatre semaines, il se dit favorable à un contre-projet de deux semaines. Il craint que l’initiative ne soit rejetée par le peuple, car elle fait peur à l’économie et notamment aux PME. «Les deux semaines sont un bon premier pas. Peu à peu, les entreprise­s s’aperçoiven­t qu’avec un bon congé paternité, elles recrutent plus facilement du personnel qualifié.»

«La Suisse est un pays riche qui fait une politique familiale pingre»

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PIRMIN BISCHOFCON­SEILLER AUX ÉTATS (PDC/SO)

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