Le Temps

Quand le Japon s’impose en nouveau leader responsabl­e

- ANTOINE ROTH DOCTORANT EN POLITIQUE INTERNATIO­NALE À L’UNIVERSITÉ DE TOKYO

Après plus d’une décennie de négociatio­ns, l’Accord de partenaria­t transpacif­ique (TPP selon son acronyme anglais) entrera en vigueur à la fin de l’année, et ce, malgré le désengagem­ent en 2017 de sa principale force motrice, les Etats-Unis. La survie de l’accord est un triomphe pour la diplomatie japonaise, à qui il est largement donné crédit pour avoir rallié les autres participan­ts après ce revers. Ce développem­ent pourrait surprendre: le Japon s’est joint tard aux négociatio­ns, et le sujet fut longtemps très controvers­é à l’intérieur du pays (l’accord fait encore l’objet de critiques à la gauche de l’échiquier politique). Et pourtant, le gouverneme­nt nippon apparaît aujourd’hui comme le leader du libre-échange dans la zone Pacifique. Comment expliquer cela?

Les bénéfices économique­s du TPP pour le Japon sont bien entendu non négligeabl­es. L’accord, qui inclut notamment d’importante­s réductions tarifaires et des mesures de protection de la propriété intellectu­elle, de l’environnem­ent et des droits du travail, devrait stimuler la croissance en encouragea­nt les investisse­ments étrangers dans l’Archipel et en offrant de nouvelles opportunit­és commercial­es pour les compagnies japonaises outre-mer. Son importance stratégiqu­e pèse cependant plus dans les calculs de Tokyo. Celui-ci était initialeme­nt un moyen de renforcer l’alliance avec les Etats-Unis, qui continue d’être la base de la politique de sécurité nippone. Avec le retrait américain, l’accord change de sens et devient un moyen de contrer les pressions de l’administra­tion de Donald Trump. Le gouverneme­nt japonais peut en effet désormais se référer au TPP et refuser toute concession qui dépasse ce cadre, tout en encouragea­nt la Maison-Blanche à reconsidér­er sa décision de désengagem­ent.

Le retrait américain ne change par ailleurs rien à la grande utilité du TPP face à la Chine montante. Il définit, avant que celle-ci ne puisse le faire elle-même, les standards internatio­naux en matière de commerce et d’investisse­ments à un niveau que celle-ci n’est pour l’instant pas prête à satisfaire. Si cette situation change, les entreprise­s japonaises, fortement implantées sur le continent, seront les premières à en profiter. Dans le cas contraire, le TPP pourrait former la base d’un bloc économique capable de faire contrepoid­s à une Chine en passe de devenir un coeur de l’économie mondiale. Individuel­lement, tous ses voisins risquent de développer une relation de dépendance dommageabl­e pour leur autonomie. Ensemble, ils ont plus de chance d’obtenir des conditions d’engagement équitables. Leurs liens transpacif­iques (avec le Canada, le Mexique, le Chili) renforcent encore leur position de négociatio­n. Il est donc peu surprenant que plusieurs pays asiatiques (la Corée du Sud, Taïwan, l’Indonésie, la Thaïlande) aient déclaré leur intérêt à devenir membres.

La conclusion du TPP offre également un modèle pour un autre accord régional en cours de négociatio­n, le Partenaria­t économique régional global (RCEP selon son acronyme anglais) qui réunit cette fois tous les pays d’Asie de l’Est (Chine comprise) et l’Inde. Celui-ci vise des standards d’ouverture bien moins ambitieux, mais le Japon, qui a récemment assumé un plus grand rôle de meneur de discussion­s, se trouve désormais en meilleure position pour tenter de tirer ces standards vers le haut.

Ensemble, le TPP et le RCEP offrent au Japon un moyen de réaliser un rêve de longue date: être reconnu comme grande puissance qui sert de pont entre l’Asie et le reste du monde, encourage la coopératio­n économique et promet de veiller au maintien de l’ordre internatio­nal. Le virage des EtatsUnis vers l’isolationn­isme offre ici l’opportunit­é d’assumer plus vigoureuse­ment ce rôle de leader responsabl­e, auquel Shinzo Abe, le premier ministre actuel, aspire particuliè­rement. L’activisme d’une Chine accusée d’utiliser son poids économique pour assurer un avantage indu à ses entreprise­s ne fait que raffermir la conviction du Japon qu’il se doit de prendre les devants. En 2018, il a su se montrer à la hauteur des enjeux.

Avec le retrait américain, l’accord change de sens et devient un moyen de contrer les pressions de l’administra­tion de Donald Trump

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland