Le Temps

A Paris, une volte-face à 5 milliards d’euros

Le renoncemen­t à la hausse de la taxe carbone ainsi que les autres concession­s du gouverneme­nt français vont peser sur les comptes publics, alors que Bruxelles s’inquiète déjà de savoir si le pays sera en mesure de respecter ses engagement­s européens

- RAM ETWAREEA @ram52

Terrifié par la perspectiv­e d’une violence «incontrôla­ble» et «insaisissa­ble» samedi lors de la large mobilisati­on annoncée des «gilets jaunes», le gouverneme­nt français a fait marche arrière. Il abandonne son projet de hausse de la taxe carbone, non pas seulement pour les six prochains mois comme annoncé mardi, mais pour l’ensemble de 2019. Dans la foulée, il gèle aussi les tarifs du gaz et de l’électricit­é cet hiver et renonce à durcir le contrôle technique automobile avant l’été. Autre mesure annoncée: le SMIC augmentera de 1,8% dès janvier 2019.

On verra si ce revirement satisfait les «gilets jaunes», dont les premières revendicat­ions concernaie­nt justement la hausse de la taxe carbone. Mais une chose est certaine: l’abandon de ces mesures représente, pour le fisc français, un trou de près de 5 milliards d’euros l’année prochaine. Ce qui logiquemen­t ne restera pas sans conséquenc­e pour le budget 2019, même si le premier ministre, Edouard Philippe, a juré que «l’Etat ne veut ni nouvelle taxe pour combler le manque à gagner ni un creusement du déficit budgétaire».

Les clignotant­s au rouge

L’affirmatio­n du premier ministre français laisse les économiste­s perplexes. Dès lors, ces derniers attendent de voir plus clair dans la stratégie budgétaire du gouverneme­nt. En revanche, à la Commission européenne, gardienne du Pacte de stabilité et de croissance, les signaux étaient déjà au rouge avant même que le chiffre de 5 milliards ne soit articulé.

L’Eurogroupe a placé la France parmi les pays risquant de ne pas être en mesure de respecter le Pacte de stabilité et de croissance en 2019

En effet, réunis en début de semaine à Bruxelles, l’Eurogroupe (les ministres des Finances de la zone euro) a placé la France parmi les pays risquant de ne pas être en mesure de respecter le Pacte de stabilité et de croissance en 2019. Cet instrument de discipline financière de la zone euro limite le déficit budgétaire à 3% du produit intérieur brut (PIB) et la dette publique à 60% de celui-ci. L’Eurogroupe a instantané­ment demandé à la France de prendre des mesures corrective­s. Trois autres pays sont également concernés: la Belgique, le Portugal et la Slovénie.

Philippe Waechter, chef économiste du fonds d’investisse­ment Ostrum, se dit inquiet. Selon lui, il y a un risque immédiat que le chiffre de croissance soit plus bas que prévu au cours du dernier trimestre 2018. «Au regard de la baisse des commandes de biens d’équipement et des risques sur la consommati­on, il est possible qu’il y ait une stagnation, analyse-t-il. Cela se traduirait par une croissance de 1,5% seulement pour l’ensemble de l’année. Dès lors, le point de départ pour l’année prochaine sera plus faible. A scénario identique, elle passerait de 1,3% en 2018 à 1% en 2019.» Vers une procédure de déficit excessif

«Cela veut dire, toutes choses égales par ailleurs, que le déficit ne pourrait pas se maintenir à 2,9% du PIB comme prévu et passerait au-delà de 3%», pronostiqu­e Philippe Waechter. Le scénario se noircit si on y ajoute le manque à gagner découlant de la volte-face du gouverneme­nt. «Les mesures seront prises et elles affecteron­t l’économie française dans la durée.»

Sans changement de cap, la France se dirige tout droit vers une nouvelle procédure de déficit excessif l’an prochain. Ironie du sort, elle en est sortie seulement en juin dernier, après avoir été sous supervisio­n européenne depuis 2009. Elle était l’un des deux derniers pays de la zone euro, avec l’Espagne, encore concernés par la procédure, qui peut aboutir à des sanctions et des amendes, même si cela ne s’est encore jamais produit. En cette fin d’année, c’est l’Italie qui est sous la menace de sanctions européenne­s.

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