La recherche en entreprise: une quête de pragmatisme
On dit parfois que la recherche est déconnectée du monde de l’entreprise. Cela serait sans doute moins vrai si les données, véritable nerf de la guerre, pouvaient être récoltées sur ce terrain. Cela pose néanmoins le problème de l’incompatibilité des finalités et des enjeux. Le chercheur aura tendance à privilégier le questionnaire de 18 pages (dans sa version épurée), si possible administré dans une perspective longitudinale, permettant de mettre en échelles les multiples indicateurs qui iront nourrir un modèle, généralisant certes le comportement de toutes les entreprises, mais ne s’appliquant à aucune en particulier. Rappelons à ce sujet que les théories les plus populaires et les plus appliquées en management ne sont pas celles qui ont été développées avec des données de terrain. L’incontournable pyramide de Maslow, par exemple, qui continue de hanter les manuels de management, a connu des années de gloire alors que, techniquement, les données issues de la pratique la réfutent quasiment entièrement.
C’est ainsi également que le brainstorming a été élu, en son temps, produit de la décennie en matière de créativité, sans que son efficacité ait véritablement été démontrée sur le terrain. On ne compte plus, a contrario, les modèles extraordinairement raffinés, obtenus uniquement grâce à la persécution acharnée d’échantillons de population captifs, dont l’usage est si complexe qu’il n’est accessible qu’à un cénacle de docteurs qui ne verront plus jamais une entreprise de près.
On pourrait imaginer qu’en allant directement à la source des questions de terrain, il serait plus facile d’obtenir des données pleines de sens, ne serait-ce que pour l’entreprise qui les demande, et ainsi alimenter une communauté de réponses permettant de faire des généralisations fondées sur une vraie pratique. Malheureusement, en général, les entreprises ne cherchent pas des données: elles cherchent des réponses. Et il n’y a pas meilleur moyen de biaiser une récolte d’informations que de l’orienter vers la confirmation de ce que l’on présumait avant de mener l’enquête.
La préservation d’une certaine qualité des données, qui permettrait leur généralisation, passe hélas par un certain nombre d’étapes intellectuelles et considérations méthodologiques assez peu glamours, qui auraient tendance à alourdir les rapports d’analyse et donc à faire perdre leur temps aux managers. A cela s’ajoute le fait que les données ne peuvent se collecter «malgré» l’entreprise, qui doit ouvrir l’accès à ses bases de données et donner un assentiment haut et clair, sachant que tendre un miroir neutre expose tout de même au risque de se faire égratigner le portrait. Les données ne peuvent pas non plus se collecter «malgré» les collaborateurs, qui restent libres de répondre par un assourdissant silence – cela se voit même dans les meilleures votations. Ainsi, la recherche a beau s’associer au terrain et devenir appliquée, elle n’en est pas pour autant libérée de quelques austérités contrariantes et difficiles à maîtriser.
La solution passe, comme souvent, par une meilleure compréhension des enjeux et contraintes réciproques, assortie d’une certaine forme de rigueur intellectuelle, mais connectée avec le terrain. C’est fort heureusement ainsi que l’on définit le pragmatisme, meilleur instrument de convergence de réalités différentes.
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