Le Temps

Sortir de l’ornière

- YVES PETIGNAT JOURNALIST­E

Et si l’on tentait à nouveau de presser sur le bouton «reset»? Celui qui a fait pschitt. Recommence­r là où le gouverneme­nt, dans sa compositio­n finissante, a échoué: rassembler dans un nouveau projet européen les forces d’ouverture. L’élection au Conseil fédéral de Viola Amherd et Karin Keller-Sutter, deux femmes de dialogue et aptes au compromis, offre cette nouvelle chance. En face, l’arrivée à la tête de l’Union syndicale suisse de Pierre-Yves Maillard, artisan du «compromis dynamique» à la vaudoise, malgré son style bulldozer, peut laisser espérer un dépassemen­t des antagonism­es. La Suisse a un besoin urgent que les deux conseillèr­es fédérales s’impliquent dans un dialogue constructi­f avec les partenaire­s sociaux.

Dans la conception qu’en avait l’inventeur de la formule, le ministre des Affaires étrangères Ignazio Cassis, le «reset» devait servir à «démystifie­r la perception qu’ont les Suisses de ce «machin» qu’est devenu l’accord-cadre avec l’UE». Débloquer la mécanique intérieure. On connaît la suite: patatras.

Voilà pourquoi il faut prendre au mot la nouvelle conseillèr­e fédérale saint-galloise lorsque, dans une interview à la presse alémanique, elle déclare que l’on ne peut faire de concession­s à Bruxelles sans que celles-ci aient été négociées auparavant entre partenaire­s sociaux en Suisse. Et Karin Keller-Sutter d’ajouter comprendre que les syndicats «ont pu avoir le sentiment à juste titre qu’ils devaient faire rapidement des concession­s. Cela ne crée pas un climat de confiance.» La Saint-Galloise a fait la démonstrat­ion de sa capacité à construire des solutions pragmatiqu­es, sans idéologie, au sein de ce que l’on a pompeuseme­nt appelé «le gouverneme­nt de l’ombre» du Conseil des Etats. Un groupe de sénateurs influents où elle retrouvait son compatriot­e socialiste Paul Rechsteine­r, le président du PS Christian Levrat, les sénateurs démocrates-chrétiens Konrad Graber et Pirmin Bischof et le radical Ruedi Noser. On leur doit notamment la réforme de la fiscalité des entreprise­s, qui combine un projet fiscal et une stabilisat­ion de l’AVS, ou la mise en oeuvre «soft» de l’initiative «Contre l’immigratio­n de masse». Avec en face du gouverneme­nt un patron des syndicats qui ne sera pas des plus commodes, on attend donc beaucoup de l’art du compromis de Karin Keller-Sutter et de son sens du pouvoir.

Pierre-Yves Maillard sait ce qu’il veut et surtout comment l’obtenir. C’est un négociateu­r coriace. Qui a démontré que l’on ne peut faire de concession­s que si l’on est fort. Même si quelques observateu­rs prophétise­nt déjà qu’avec lui le baromètre promet la tempête, il a incarné, avec son collègue radical Pascal Broulis, le «compromis dynamique» qui a jusqu’à présent plutôt réussi aux Vaudois. Notamment en matière fiscale. A gauche, beaucoup misent sur lui pour sortir le mouvement syndical de sa dynamique euroscepti­que et de la méfiance de la base envers l’UE. Il lui faudra inventer une nouvelle stratégie, qui s’éloigne de la politique de la chaise vide. On attend de lui qu’il permette de forger un compromis, en s’appuyant sur Karin Keller-Sutter, pour reconstrui­re un climat plus favorable à l’ouverture européenne, tout en restant ferme sur la protection des salaires. Or, quiconque fréquente les assemblées syndicales mesure le chemin à parcourir. Les élections de cette semaine sont pourtant une chance de sortir de l’ornière. Pour peu que la Berne fédérale sache où elle veut aller.■

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