La Chine tisse sa toile économique en Arctique
Pékin, qui vient d’inaugurer un nouveau brise-glace, veut ouvrir une «Route de la soie polaire». Face à cette offensive, le Canada peine à défendre ses intérêts en Arctique
«Le principal objectif à long terme de Pékin est de s’assurer d’être une grande puissance influente dans l’Arctique», prévient l’Arctic Yearbook 2018, dont l’édition annuelle vient d’être publiée par l’Université de l’Arctique. Ce collectif d’académies et d’organismes de recherche spécialisés dans les questions nordiques croit savoir que la Chine «poursuit des intérêts économiques dans les secteurs du pétrole et du gaz et l’exploration des ressources de l’Arctique».
L’Arctic Yearbook 2018, ouvrage de référence sur les questions touchant le Grand Nord, consacre une large part de son édition aux ambitions chinoises en Arctique. Tout a commencé en janvier 2018. Au plus fort de l’hiver, les Canadiens découvrent, stupéfaits, la publication par la Chine d’un livre blanc sur ses intentions maritimes, géopolitiques et économiques dans l’Arctique. L’Empire du Milieu, qui, en tant qu’Etat non riverain de l’Arctique, s’était bien gardé jusque-là de dévoiler ses ambitions à propos du Grand Nord, y révélait ses plans à long terme: créer des «Routes de la soie polaires» par lesquelles Pékin satisferait ses immenses besoins en ressources naturelles.
Le réchauffement climatique ouvre de nouvelles routes maritimes, notamment l’été au pôle Nord. Dans son livre blanc, Pékin ne rentre pas dans les détails de ses ambitions. L’Arctic Yearbook, lui, relève que «les investissements chinois dans les Etats de l’Arctique sont souvent critiqués à cause de leur manque de transparence et que ces investissements sont généralement financés par des prêtenoms». Cette étude polaire souligne aussi que les Chinois prennent position stratégiquement dans les pays arctiques: construction d’un chemin de fer dans le nord de la Norvège et de la Finlande, prise de position dans des projets miniers au Groenland ou de gaz en Sibérie. Le Danemark a pour sa part refusé de vendre aux Chinois une ancienne base navale dans son territoire autonome du Groenland.
Diplomatie économique
Pékin a aussi pris des participations dans de nombreux projets pétroliers et miniers canadiens, notamment au Nunavut, dont les matières premières pourraient dans le futur transiter via les Routes de la soie polaires chinoises. Pékin veut prendre pied partout où il est possible de le faire dans l’Arctique et a ainsi effectué des prêts à l’Islande, après la crise financière de 2008. En échange, Reykjavik a soutenu Pékin pour obtenir un poste d’observateur en 2013 au Conseil de l’Arctique, dont les Etats permanents sont le Canada, les Etats-Unis, la Suède, la Norvège, le Danemark, la Russie, la Finlande et l’Islande. Les Chinois disposent désormais d’un hub maritime en Islande et ils ont signé un traité de libre-échange avec Reykjavik.
Parallèlement, la Chine a déjà mené neuf expéditions polaires, franchi le passage du Nord-Ouest avec un brise-glace long de 167 mètres, le Xue Long 1 (Dragon des neiges 1), racheté à l’Ukraine au milieu des années 1990. Sans tambour ni trompette, l’Empire du Milieu a inauguré en septembre son second brise-glace, le Xue Long 2, le premier made in China. Et un appel d’offres a été lancé en juin dernier pour un modèle de brise- glace nucléaire. Les experts de l’Arctic Yearbook évoquent dans ce domaine un possible accord entre le spécialiste russe des brise-glaces nucléaires, Rosatomflot, et la Chine. En occupant scientifiquement et économiquement le pôle Nord, Pékin veut se positionner pour le jour où les Etats arctiques s’y partageront des zones d’influence économiques.
Face à la montée en puissance de la Chine, le Canada apparaît comme l’un des maillons faibles de l’Arctique. Tous les gouvernements canadiens depuis quinze ans ont assuré qu’ils défendraient la souveraineté du Canada en Arctique, sans jamais investir dans des forces armées pour la défendre. Ce qui n’empêche pas Ottawa de s’intéresser aux ressources naturelles de la région: mines de diamants dans les Territoires du Nord-Ouest, mais aussi de fer et d’or au Nunavut. Le Canada, maillon faible du Grand Nord
Le premier ministre Justin Trudeau a dépêché au début octobre le ministre des Affaires nordiques, Dominique LeBlanc, et son homologue des Ressources naturelles, Amarjeet Sohi, dans le Grand Nord pour étudier les pistes d’exploitation du pétrole et du gaz de la mer de Beaufort. «Les Territoires du Nord-Ouest veulent être impliqués dans la gestion des ressources offshore gazières et pétrolières de l’Arctique», a aussi assuré Dominique LeBlanc.
Le Canada devra toutefois surveiller l’Empire du Milieu. Dans leur ouvrage China’s Arctic Ambitions, publié par l’Université de Calgary, un collectif de professeurs citent ainsi le colonel Le Li de l’armée chinoise: «Il est impossible d’être aveugle sur les ressources naturelles dans la région du pôle Nord» et de conclure: «C’est le Moyen-Orient du futur ou un deuxième MoyenOrient.»
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