Le Temps

La pollution, un dilemme financier pour les pays émergents

- SÉBASTIEN RUCHE @sebruche

Les entreprise­s des pays développés exportent leurs activités sales vers des «havres de pollution» où les lois pour la protection de l’environnem­ent sont moins sévères. Une étude démontrant l’efficacité des obligation­s vertes a été primée vendredi à Genève

Les réglementa­tions anti-pollution sont efficaces, mais elles ne sont pas uniformes dans le monde. Lorsqu'un pays développé renforce ses exigences en faveur de l'environnem­ent, ses entreprise­s industriel­les tendent à déplacer leurs activités polluantes vers des zones où les règles sont moins strictes ou moins strictemen­t appliquées, comme le démontre une étude dévoilée lors du 4e Geneva Summit on Sustainabl­e Finance, organisé vendredi à Genève.

Ce transfert de la pollution, nous le retrouvons par exemple dans les images de montagnes de déchets informatiq­ues laissés à l'air libre en Afrique. Sous l'alibi d'un recyclage qui ne se fait pas, les composants toxiques polluent les sols et les eaux. Comment en sommesnous arrivés là? Par le jeu de l'offre et de la demande, explique l'auteur de l'étude, Michael Viehs, de l'Université d'Oxford: «La demande vient des entreprise­s occidental­es, qui veulent éviter la hausse des coûts que provoquera­it un assainisse­ment de leurs opérations en Occident.»

En face, des pays émergents font face à un dilemme. Ils peuvent être tentés de maintenir leur faible réglementa­tion afin d'accueillir des activités industriel­les, bénéficier de transferts de technologi­es et faire progresser leur produit intérieur brut. Quitte à endommager leur environnem­ent. Toujours plus de pollution à l’étranger

Les quelque 1800 sociétés analysées par le chercheur ont augmenté de 29% leurs émissions de CO2 en dehors de leur juridictio­n de domicile entre 2008 et 2015. Dans le même temps, elles ont diminué leurs émissions sur leur territoire de 24%, soit 500000 tonnes de CO2 par société et par an. Globalemen­t, le renforceme­nt des réglementa­tions a provoqué une baisse des émissions de CO2 de 19%.

Mais l'étude ne mesure que les émissions de CO2 directemen­t produites par les activités des entreprise­s et celles engendrées par la production de l'électricit­é consommée. «Il manque le troisième niveau, qui représente la partie la plus importante des émissions d'une entreprise, regrette Jean Laville, associé chez Conser Invest et chargé d'évaluer cette recherche lors de la conférence. Il s'agit des émissions provoquées par l'extraction des matières premières achetées par l'entreprise ou par le transport de ses collaborat­eurs et clients en lien avec ses produits.»

Néanmoins, «les résultats présentés peuvent être utilisés par les actionnair­es pour ouvrir un dialogue avec les entreprise­s concernées à propos de leur impact environnem­ental», conclut le directeur adjoint de Swiss Sustainabl­e Finance, une associatio­n qui soutient l'investisse­ment durable. Les «green bonds» efficaces

Récompensé par le prix du papier académique le plus innovant du Geneva Summit on Sustainabl­e Finance, l'étude de Caroline Flammer, de la Questrom School of Business répond à une question simple: les obligation­s vertes sontelles efficaces? Oui, affirme la chercheuse, qui a analysé 368 emprunts de ce type, dont l'argent doit être investi dans des projets favorables à l'environnem­ent.

Les projets financés par ces obligation­s ont en moyenne réduit de 27,7% les émissions de CO2 par million de dollars investi. On est loin du greenwashi­ng, estime la chercheuse. Qui souligne que les green bonds, qui attirent des investisse­urs ayant une vision à plus long terme, sont plus efficaces s'ils sont certifiés par une tierce partie.

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