Luka Modric, étalon-or de la formation croate
Le récent Ballon d’or est la figure de proue d’un petit pays qui produit de grands joueurs parce qu’il croit beaucoup à l’intelligence tactique et pas du tout au bénévolat
L’attribution lundi 3 décembre du Ballon d’or à Luka Modric est venue relancer la question que tout le monde se pose depuis le mois de juillet dernier: comment la Croatie, petit pays de 4 millions d’habitants, a-t-elle pu se hisser en finale de la Coupe du monde? «En nous piquant Ivan Rakitic», diront un peu vite certains en Suisse. Réponse simpliste, même si les deux pays ont quelques points communs.
La qualité a un prix
La conscience, tout d’abord, que leur petitesse les oblige à bien travailler. La Croatie ne compte que 1460 clubs et 125000 joueurs. Leur géographie (montagneuse pour la Suisse, étirée en croissant pour la Croatie) et leur système politique imposent le découpage du territoire. La fédération croate (HNS) compte cinq régions, un responsable technique dans chaque région, des instructeurs dans chaque district, et une structure pyramidale au niveau local qui oriente les jeunes talents vers les meilleurs clubs.
La comparaison s’arrête là. La méthode croate diffère du modèle suisse, et de bien d’autres observables en Europe. Tout d’abord, tous les entraîneurs sont diplômés et payés. «Même chez les jeunes, même dans les petits clubs», assure Boris Kubla, responsable de la formation à la fédération croate, que Le Temps a rencontré mercredi 5 décembre à Genève, en marge de l’International Sports Convention. «La fédération ne reçoit pas d’argent de l’Etat mais certains entraîneurs sont payés par les collectivités locales. Tous ne sont pas à plein temps mais aucun n’est bénévole. Nous voulons qu’ils fassent du bon travail et cela se paie.» En 2017-2018, neuf entraîneurs croates ont gagné des titres avec des équipes étrangères. Approche très compétitive
Le système croate se distingue également par une approche très compétitive de la formation. Ici, l’on ne craint pas de confronter les jeunes à la pression du résultat. On joue beaucoup et l’on joue de vrais matchs. Les équipes réserves sont admises jusqu’en deuxième division. Alors que la Belgique développe l’aspect ludique pour garder le plus grand nombre de joueurs le plus longtemps possible, la Croatie n’a pas à s’inquiéter de la passion des jeunes joueurs. «Nous sommes un pays qui vit le football comme peu d’autres. Nous grandissons avec le football, nous savons reconnaître le bon football.»
A l’entraînement, le jeune joueur croate apprend à être techniquement et tactiquement capable de jouer sous pression. «Cela passe surtout par du travail en situation de match, des exercices qui reproduisent tous les cas de figure possibles, détaille Boris Kubla. Face à ça, le joueur va apprendre à réfléchir par lui-même, à trouver des solutions. Et plus il trouvera de solutions, plus on le confrontera à de nouveaux problèmes. Chez les jeunes, nos coachs corrigent les erreurs mais ne crient pas des consignes. La progression vient de la réflexion, pas de la répétition.»
«Nous ne voulons pas des robots, résume Boris Kubla. Dans le football moderne, l’intelligence tactique et la capacité d’adaptation sont ce qui vous permet d’être imprévisibles.» Les joueurs mettent leur talent et leur intelligence au service de l’équipe. Ils ne sont pas traversés par une inspiration géniale mais agissent selon leur compréhension tactique d’une situation.
Deux clichés mis à mal
En Croatie comme ailleurs, aucun champion ne sort plus du football de rue. «Comme partout ailleurs, les jeunes n’ont plus de temps libre, déplore Boris Kubla. Ils ne jouent qu’à l’école ou dans les clubs.» Ce qui fait tomber d’un coup deux clichés: celui du Croate brillant individualiste et celui de la génération spontanée. «En Russie, notre sélection comptait des joueurs de tous les âges, ce qui veut dire que chaque année, notre système sort un, deux ou trois top joueurs. Nous avons eu un peu de chance pour arriver en finale [deux qualifications pour les quarts et demi-finales aux tirs au but] mais depuis la naissance de la fédération croate, nous n’avons raté que l’Euro 2000 et la Coupe du monde 2010.»
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