Didier et Alain, simples citoyens
Au royaume des photos de présidents, les Etats-Unis sont roi. Parmi les images emblématiques, il y a celle d’un JFK tout sourire à l’arrière d’une décapotable Lincoln Continental sillonnant les rues de Dallas. Attirant la lumière dans son tailleur rose, Jackie est à ses côtés; elle ne se doute évidemment pas que, quelques minutes plus tard, son époux sera assassiné. Le cliché est un instantané. Il serait totalement banal sans cette issue fatale.
Parmi les dirigeants américains les plus photogéniques, Barack Obama, forcément. La manière dont il a su cultiver sa cool attitude est sidérante. On a pu le voir jouant avec un gosse déguisé en Spider-Man ou courant avec son chien dans les couloirs de la Maison-Blanche. Autant d’images qui sont elles aussi des instantanés alors même qu’on devine une mise en scène, une conscience, chez le premier président afro-américain, de sa propre image. Une qualité dont Donald Trump est dénué, lui qui a souvent été immortalisé dans des postures loin d’être à son avantage.
Les photos disent beaucoup de leurs modèles. En 2007, un Nicolas Sarkozy se prenant pour Gary Cooper – ou Vladimir Poutine, les muscles en moins – avait fait parler de lui. Sur une image prise de plus loin, on découvrait des dizaines de photographes entassés sur une charrette face au chef d’Etat à cheval. «Un symbole des dérives de la politique spectacle et de la presse aux ordres», a commenté une journaliste de Mediapart.
Et en Suisse? Le cliché le plus commenté de l’année reste invariablement la photo officielle du Conseil fédéral. Mais il est arrivé que des images non mises en scène deviennent célèbres. En 2014, un journaliste du Temps photographiait Didier Burkhalter, alors président de la Confédération, attendant son train à Neuchâtel comme n’importe quel citoyen. L’image sidérera le monde: dans ce pays, l’homme le plus puissant du pays voyage comme tout le monde et sans garde du corps.
Il y a deux mois, c’est Alain Berset, qui s’apprête à achever son année présidentielle, qui faisait le buzz avec une photo Keystone le montrant assis sur un trottoir new-yorkais, prenant des notes entre deux sessions de l’ONU. Une image à son image, dans le fond. J’ai eu la chance de passer près d’une heure avec lui, cet été à Locarno, et, après une interview officielle, on a échangé le plus simplement du monde sur la culture et le cinéma. Nicolas Brodard a bien compris cette simplicité, cette empathie innée. Le Fribourgeois a suivi l’année dernière son compatriote pour adopter son point de vue, immortaliser ce qu’il voit. La série qu’il a réalisée, en mode «dans la peau d’un conseiller fédéral», est passionnante dans ce qu’elle dit non pas d’un homme, mais d’une fonction.