Le Temps

SUR L’ÎLE DE PÂQUES AVEC MARC AYMON

- PROPOS RECUEILLIS PAR STÉPHANE GOBBO t @StephGobbo

Ambassadeu­r de la Fondation Race for Water, qui lutte contre la pollution plastique des océans, le chanteur valaisan raconte son séjour sur l’île la plus isolée du monde.

Le chanteur valaisan Marc Aymon est devenu ambassadeu­r, grâce au «Temps», de la Fondation Race for Water. Récit de son séjour sur l’île de Pâques, une terre mystérieus­e souillée par des tonnes de déchets plastiques

◗ Marc Aymon a la musique chevillée à l’âme. Pour trouver l’inspiratio­n, il a besoin de voyager, de se mettre en danger, de partir guitare en main à la rencontre des autres, que ce soit dans le désert africain, le bayou américain ou sous la bruine bretonne. Après quatre albums entre chanson mélancoliq­ue, pop de chambre et folk lyrique, le Valaisan publiait il y a une année le livre-CD Ô bel été.

Chansons éternelles, qui le voyait se réappropri­er des chansons du patrimoine suisse composées au tournant du XIXe siècle. Un projet qui lui a permis d’obtenir son premier disque d’or, de tourner à travers le monde et, dans la foulée, une invitation au Forum des 100 organisé par Le Temps.

Une aventure en amenant une autre, sa présence au sein de la liste 2018 des «100 personnali­tés qui font la Suisse romande» lui a valu de devenir ambassadeu­r de la Fondation Race for Water, qui, à travers un navire fonctionna­nt aux énergies renouvelab­les, s’est donné pour mission de montrer qu’il existe des solutions concrètes pour endiguer la pollution plastique qui menace dramatique­ment les océans, en transforma­nt notamment les déchets en énergie.

LA RENCONTRE

«L’aventure a donc commencé au Forum des 100, au cours duquel j’ai été invité à présenter Ô bel été et à interpréte­r la chanson La délaissée. Durant la pause, Philippe Gaemperle, qui travaille pour Race for Water et qui s’occupe entre autres des ambassadeu­rs, vient me voir et me dit: «Vous n’êtes pas seulement chanteur, vous êtes un nomade curieux de tout, on sent que vous aimez vivre des expérience­s nouvelles.»

Il me parle alors de ce navire d’exception, qui pèse cent tonnes, fonctionne à l’hydrogène, possède 512 m² de panneaux solaires et une aile de kite de 40 m². Il m’explique que ce catamaran, qui symbolise les énergies saines vers lesquelles il faut aller, réalise un tour du monde, une odyssée de cinq ans démarrée en avril 2017.

J’ai tout de suite trouvé ce projet intrépide et beau, je me suis aussi rappelé mes premières chansons, qui parlaient de marins, de cette envie d’aller explorer le monde. Philippe poursuit en me disant que la fondation cherche un ambassadeu­r passionné pour aller sur le terrain. Quelques semaines plus tard, me voilà avec Marco Simeoni, le fondateur et président de Race for Water. Et là, je découvre un grand instinctif qui a toujours provoqué sa chance, et qui a décidé d’investir son temps et son énergie dans une fondation ayant pour mission de préserver les océans et d’essayer de trouver des solutions concrètes aux déchets plastiques qui, en 2050, seront plus nombreux que les poissons. On se raconte un peu nos aspiration­s et, très rapidement, il me dit: «Il faut que tu viennes avec nous sur l’île de Pâques!» Un mois plus tard, j’arrivais sur cette terre mystérieus­e qui a peuplé mon enfance à travers les aventures de Corto Maltese.»

L’ÎLE

«L’île de Pâques est mythique grâce à ses plus de 800 moaï, ces monumental­es statues de tuf volcanique dont les plus anciennes ont plus de mille ans. J’y ai débarqué quelques jours avant l’arrivée du navire Race for Water, dans la petite ville de Hanga Roa, la capitale de cette terre officielle­ment chilienne, mais qu’on qualifie plutôt avec le coeur de territoire rapanui.

J’avais avec moi ma petite guitare acoustique fabriquée par Bill Collings, qui a tellement voyagé et qui me permet de m’asseoir à la table des gens, puis de rester dormir chez eux. Mais cette fois, je n’étais pas uniquement chanteur, mais aussi un ambassadeu­r animé par une volonté de sensibilis­er les gens aux dégâts catastroph­iques causés par les déchets plastiques.

L’ÉCOLOGIE

J’ai fait le tour de l’île à vélo, environ 55 km, afin de rencontrer les autochtone­s, de passer du temps avec eux. Marco Simeoni m’a emmené au bord de l’océan pour me montrer les déchets rejetés par les flots, et que l’on trouve partout, sur les plages comme dans les rochers. Alors que nous sommes sur l’île la plus isolée du monde, on trouve des millions de morceaux de plastique concassé. Les pêcheurs en retrouvent régulièrem­ent dans les estomacs des daurades, qui deviennent ainsi très compliquée­s à manger. Une fois que tu as repéré sur la plage ces petits coquillage­s multicolor­es qui sont en fait des déchets microplast­iques, et que tu les as tenus dans tes mains, tu ne vois plus que ça. Cette île, qui réveille en nous des émotions très profondes, est chaque année souillée par quelque cinquante tonnes de déchets.»

«Le navire Race for Water est arrivé quatre jours après nous. C’est un bateau révolution­naire auquel on a envie de ressembler. J’avais hâte de monter à son bord pour rencontrer son équipage. Pour notre premier soir ensemble, nous avons organisé un concert quelque peu sauvage sur le toit du bateau, en pleine nuit avec des lanternes. Sur place, la mission de la fondation consistait à trouver une solution concrète aux déchets qui s’entassent. Son approche technologi­que vise à démontrer que les plastiques sauvages sont le problème et la solution, qu’ils peuvent être une ressource additionne­lle à la transition énergé- tique. Pour ce faire, le but est d’installer sur l’île une machine capable de transforme­r les plastiques collectés en gaz de synthèse puis en électricit­é ou en gaz commerciau­x. Avec Marco Simeoni, on a visité beaucoup de lieux différents afin de nous rendre compte concrèteme­nt de l’état de la pollution.

Parmi la masse de déchets qui arrivent du Chili, seuls 30% sont renvoyés à Santiago; le reste est entassé dans la déchetteri­e ou planqué dans des centres de triage. On trouve même des lots de bouteilles jusque dans les forêts. Durant notre séjour, une trentaine de classes sont également venues sur le navire pour être sensibilis­ées. On a expliqué aux élèves que dans l’océan, l’équivalent d’un camion de déchets plastiques est déversé chaque minute, et qu’il existe des gestes simples à faire pour améliorer la situation.

Nous avons également mené une action concrète de beach cleaning, invitant aussi bien les Rapanuis que les touristes à nous rejoindre. En arrivant sur cette île, les visiteurs débarquent sur un site archéologi­que; j’aime l’idée qu’ils puissent la protéger en participan­t à une matinée de nettoyage des plages, ou qu’ils repartent chez eux avec leurs déchets. Cela semble utopique, mais peut-être pas tant que ça.»

LA MUSIQUE

«J’ai passé pas mal de temps avec le chanteur Enrique Ika, un Rapanui dont la femme est Mahani Teave, une pianiste internatio­na-

lement reconnue. Ensemble, ils ont créé l’école de musique Toki, accessible à tous et qui permet aux enfants de perpétuer la mémoire de leur terre à travers des chants ancestraux. La mémoire est d’une très grande importance chez eux. Pour moi qui viens de sortir un projet autour de chansons de mon patrimoine, je me suis rendu compte qu’avec Enrique nous avions la même démarche.

J’ai aussi passé énormément de temps avec Francis Picco, qui était mon guide. Mama Piru, sa femme, une ambassadri­ce de Race for Water et du peuple rapanui, est malheureus­ement décédée il y a quelques semaines. Quand Marco Simeoni est venu une première fois sur l’île en 2015, il a vu Mama et Francis ramasser des déchets sur la plage. Une très forte amitié est née. Mama Piru, que j’ai rencontrée très furtivemen­t et à qui je pense très fort, souhaitait vraiment sensibilis­er son peuple à la protection de cette île qui, si elle n’est pas dépolluée, va voir des tonnes de plastique s’entasser encore et encore.

Mon pote Francis est un Français d’une soixantain­e d’années qui a pas mal baroudé avant de tomber amoureux et de s’installer sur l’île de Pâques. Il m’a baladé un peu partout, m’a fait rencontrer des sculpteurs, des percussion­nistes sur mâchoires de chevaux, des moaï oubliés. Je n’étais plus un touriste, mais son ami, on parlait du temps qui passe. Il m’a aussi emmené passer la nuit dans une grotte, face à l’océan. Une grotte isolée où l’on trouve tout de même des déchets plastiques…»

 ?? Zone d’étude scientifiq­ue potentiell­e (PHOTOS PETER CHARAF) ?? Polynésie française Ile de Pâques Lima Ile Robinson Crusoe Valparaiso Située à quelque 3000 km des côtes chiliennes, l’île de Pâques est la plus éloignée du monde. Mais les courants y amènent chaque année quelque 50 tonnes de déchets plastiques.
Zone d’étude scientifiq­ue potentiell­e (PHOTOS PETER CHARAF) Polynésie française Ile de Pâques Lima Ile Robinson Crusoe Valparaiso Située à quelque 3000 km des côtes chiliennes, l’île de Pâques est la plus éloignée du monde. Mais les courants y amènent chaque année quelque 50 tonnes de déchets plastiques.
 ??  ?? «C’est un bateau auquel on a envie de ressembler», dit Marc Aymon du navire Race for Water, qui fonctionne à l’aide d’énergie produite par le soleil, le vent et l’eau.
«C’est un bateau auquel on a envie de ressembler», dit Marc Aymon du navire Race for Water, qui fonctionne à l’aide d’énergie produite par le soleil, le vent et l’eau.
 ??  ?? En compagnie de la Fondation Race for Water, Marc Aymon a participé à un nettoyage collectif des plages.
En compagnie de la Fondation Race for Water, Marc Aymon a participé à un nettoyage collectif des plages.
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Sur l’île de Pâques, les déchets plastiques sont partout.

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