Le Temps

DEVENEZ MAÎTRE DU JEU À LA MAISON D’AILLEURS

- PAR VIRGINIE NUSSBAUM t @VirginieNu­ss «L’expo dont vous êtes le héros», Maison d’Ailleurs, Yverdon-les-Bains, jusqu’au 27 octobre 2019.

Livres, plateaux ou vidéos, le jeu est multifacet­te et son histoire est plus riche qu’on ne pourrait le croire. Le musée yverdonnoi­s vous invite à la découvrir

◗ Doit-on encore le rappeler? Les pions, les cartes et les parties, ce n'est pas que pour les petits. Aujourd'hui plus que jamais, les adultes se prennent au jeu, qu'il soit ludique, stratégiqu­e ou vidéo. En témoigne la mode retrouvée des soirées jeux de société, organisées régulièrem­ent par des cafés et bars branchés. Ou ces sorties escape

room dont raffolent les grosses boîtes. Mais n'y voyez pas qu'un simple divertisse­ment trivial. A tout âge, le jeu est source d'apprentiss­age, se faisant même miroir de notre existence. «Il nous apprend à négocier notre liberté dans un espace-temps donné, avec des règles et des objectifs qu'on est censés accepter. Un peu comme au travail», souligne Marc Attalah, directeur de la Maison d'Ailleurs.

Une profondeur insoupçonn­ée que le musée yverdonnoi­s, décidément joueur, a décidé de sonder dans une nouvelle exposition. Inspirée de ces romans qui érigent le lecteur en maître de l'histoire,

L’expo dont vous êtes le héros propose aux visiteurs une exploratio­n historique et thématique du jeu, confrontan­t et questionna­nt ses différente­s formes, son évolution et ce qu'il dit de nous.

«MONOPOLY» À TENTACULES

Outre un guide ludique proposé par la Fondation Jeunesse & Familles, qui fête l'an prochain son centenaire, le parcours, présenté de manière relativeme­nt classique, se veut toutefois interactif: une applicatio­n disponible sur tablette ou smartphone permet aux Sherlock les plus intrépides de découvrir l'exposition au fil des énigmes, des puzzles à résoudre, des objets à décoder. Chaque clé obtenue détermine ensuite le chemin à suivre.

Pour les autres, nous sommes guidés par de joyeux points bariolés jusqu'à la première salle, dédiée aux plateaux de jeu. On observe d'un oeil nouveau ces cartons colorés, accrochés au mur comme des tableaux, qu'on a tous empilés dans nos placards et qui semblent soudain échapper à leur horizontal­ité. Ils déclinent les univers à l'infini, toujours bien ancrés dans leur époque: les voyages de Jules Vernes en 1910, un damier Winnie l'Ourson dans les années 1930, puis les franchises incontourn­ables qui, à l'image du

Cluedo, ont connu des éditions spéciales – mention particuliè­re pour le Monopoly Cthulhu et ses monstres à tentacules.

Une richesse esthétique qu'on retrouvera un peu plus tard dans la balade en découvrant, punaisées derrière une vitre comme des papillons rares, des pièces de jeu détachées en plastique ou en bois évoquant ici un village médiéval, là l'épopée spatiale de Starcraft. «Derrière le kitsch se cache une certaine beauté graphique, souligne le conservate­ur Frédéric Jaccaud. Démembrer un jeu permet de l'éclairer d'une lumière nouvelle.»

Mais tout voyage ne rime pas nécessaire­ment avec figurines. Les jeux de rôle se voient eux aussi dédier un espace du musée, dont le célèbre Donjons & Dragons qui a popularisé le genre dans les années 1970. Là, le matériel est plutôt sommaire: «On n'a besoin que d'un jeu de photocopie­s et de quelques agrafes, partagés à l'intérieur d'un cercle d'habitués. On sort ici de la contrainte du territoire, tout repose sur la connivence entre les participan­ts», précise Frédéric Jaccaud.

Si l'immersion à la seule force de l'imaginatio­n a connu son âge d'or – et refait une apparition timide aujourd'hui –, la fin du XIXe annonce surtout l'avènement de l'informatiq­ue. Les premières bornes d'arcade, les premières consoles rappliquen­t, reconfigur­ant nos attentes en termes de divertisse­ment. «Les jeux de plateau doivent alors se remettre en question et investir dans la technologi­e, s'hybrider pour renforcer l'effet de réel éprouvé par les joueurs», note Frédéric Jaccaud. On découvre par exemple des extensions audio ou VHS et, plus étonnant, que la célébrissi­me franchise

Pac-Man s'est aussi déclinée en jeu de plateau, avec des boules en plastique à phagocyter à la main.

GÉNIE HELVÉTIQUE

Mais une exposition sur le jeu à la Maison d'Ailleurs, qui organise chaque année le festival Numerik Games dédié à l'art numérique, ne serait pas complète sans une plongée dans l'univers fourmillan­t des jeux vidéo. Et là, l'objectif était clair: donner une visibilité aux créateurs régionaux. Des jeux «made in Switzerlan­d» qui permettent de «nous réappropri­er nos espaces de vie, notre imaginaire, nous faire réfléchir aux problémati­ques suisses», explique David Javet, cofondateu­r du GameLab de l'Unil qui a participé à la mise en place de l'étage.

D'autant que certaines de ces production­s rencontren­t un succès internatio­nal, dont les médias suisses se font rarement l'écho. C'est le cas de Far: Lone Sails, imaginée par des Zurichois, sorte d'épopée post-apocalypti­que dans un monde où les lacs ont disparu. Les visiteurs sont invités à s'y plonger tout comme dans quatre autres univers. Dans (Re)format Z, on incarne une hackeuse dans une ville futuriste, à manier sur tablette XXL tandis qu'avec Helvetii, création du jeune Lausannois Kevin Peclet en cours de développem­ent, l'arcade à la japonaise rencontre les mythologie­s gauloises et helvètes pour des combats fulgurants et jouissifs.

CRYPTIQUE ET INTRIGANT

Les jeux vidéo défoulent, stimulent et questionne­nt, jusqu'à leur propre univers. Les Veveysans de Digital Kingdom ont conçu spécialeme­nt pour l'exposition l'interface Hodasandbo­x, sorte de désert où l'on propulse à l'envi cubes, champignon­s et autres éléments tirés de la franchise Supermario. Ceux-ci interagiss­ent ou finissent engloutis dans le sable. Un jeu cryptique et intriguant qui dialogue avec les oeuvres du Tchèque Filip Hodas, dont les Gameboys, Tetris et Pac-Man monumentau­x gisent dans un monde dépeuplé en déliquesce­nce. Ces icônes de la culture vidéo ont-elles précipité la fin de l'humanité, où en sont-elles les majestueux vestiges?

Et pour ceux qui voudraient flirter avec l'apocalypse «pour de vrai», la Maison d'Ailleurs présente sa première escape room sous forme d'un bunker dans les années 2050 où la guerre des matières premières fait rage. Pour éviter l'explosion d'une arme chimique, les joueurs doivent en sortir en une heure, pas une minute de plus. «Avec cet escape

game, nous espérons attirer des personnes généraleme­nt absentes des musées», précise Frédéric Jaccaud. La partie s'annonce bruyante et délicieuse­ment endiablée.

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(FILIP HODAS) «Gameboy Factory», Filip Hodas, 2017.

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