Le Temps

Comment renforcer la transparen­ce des élus au parlement?

- LIONEL RICOU FONDATEUR D’ACCESS PUBLIC AFFAIRS & COMMUNICAT­IONS

Comment renforcer la transparen­ce du processus de formation de l’opinion de nos élus à Berne? Telle est la question qui agite régulièrem­ent le parlement fédéral depuis bientôt dix ans. Elle est au programme du Conseil des Etats le 12 décembre prochain à l’occasion d’un débat sur une initiative de Didier Berberat portant sur l’accès des lobbyistes au parlement. Disons-le d’emblée, le lobbying ne se limite pas à une activité de contacts avec des élus à l’intérieur de la salle des pas perdus. Il se pratique également hors des sessions et hors de l’enceinte parlementa­ire.

Ce débat a cependant une forte valeur symbolique et révèle les différente­s positions sur le lobbying. Pour une très faible minorité, issue des rangs de l’UDC, le lobbying est inutile. Cette minorité est hermétique à la question de la transparen­ce des décisions politiques, car elles ne devraient pas être influencée­s par d’autres acteurs que le peuple. Pour l’immense majorité des parlementa­ires fédéraux, le lobbying est un rouage essentiel de la formation de l’opinion des élus. Au parlement, on lui trouve au moins deux vertus. D’une part, il permet de prendre «le pouls et le sentiment d’une partie de l’opinion publique». D’autre part, il permet d’expliquer les implicatio­ns d’une décision ou d’une régulation sur un secteur donné. Les groupes d’intérêt sont au bénéfice d’une expertise spécialisé­e que ne peuvent pas maîtriser des parlementa­ires généralist­es et de milice.

L’accès des lobbyistes au parlement est réglé par la loi sur le parlement: «Tout député peut faire établir une carte d’accès pour deux personnes qui désirent, pour une durée déterminée, accéder aux parties non publiques du palais du parlement.» Dans la pratique, ces deux autorisati­ons sont accordées à des membres de la famille, à des assistants parlementa­ires, à des invités ou à des lobbyistes.

Les Chambres, dans leur majorité, sont divisées. Le Conseil national estime que ce système insatisfai­sant doit être remplacé alors que le Conseil des Etats est favorable au statu quo. La chambre du peuple plaide pour une régulation administra­tive, fondée sur des critères objectifs, de l’attributio­n des accès aux lobbyistes, alors que celle des cantons veut maintenir une régulation politique et conserver cette compétence aux élus. Les tenants d’une régulation administra­tive veulent clarifier la nature de la relation entre les élus et les lobbyistes. Avec le système actuel, il se crée un lien de dépendance entre ces derniers qui génère au sein de l’opinion publique des soupçons malsains de connivence.

Pour les principaux concernés, cette situation est également très insatisfai­sante. Forcés de demeurer dans l’ombre d’un élu pour accéder au parlement, ils sont contraints d’agir de manière quasi clandestin­e sans pouvoir assumer ouvertemen­t leur activité. Sur le plan pratique, ce système est également insatisfai­sant: chaque début de législatur­e, ils doivent «quémander» auprès des élus une telle autorisati­on alors qu’elle est utile pour l’accompliss­ement d’une activité reconnue par la Constituti­on fédérale!

Une majorité des conseiller­s aux Etats ne l’entend pas de cette oreille et défend une régulation politique, via les élus eux-mêmes. Un argument a souvent été évoqué: il y a trop de lobbyistes qui occupent les places de travail dans les antichambr­es des salles des conseils. Cet argument trivial a perdu de sa pertinence depuis qu’ont été prises en 2012 des mesures pour y limiter l’accès des lobbyistes.

Un deuxième frein à un accès des lobbyistes au parlement porte sur la définition des critères pour l’autoriser. Ils devront être suffisamme­nt larges pour ne pas exclure un groupe d’intérêt en particulie­r. Quels critères retenir? Le nombre d’employés d’un secteur? La capacité référendai­re d’une organisati­on? Le débat sur les critères n’a jamais eu lieu en Suisse mais la pratique de parlements à l’étranger pourrait être une source d’inspiratio­n.

Existerait-il d’autres raisons moins explicites pour justifier ce refus d’accorder un statut aux lobbyistes? Dans la mesure où certains parlementa­ires sont également liés à des intérêts particulie­rs, on peut se demander s’ils ne voient pas les lobbyistes profession­nels comme des concurrent­s dont il s’agirait de limiter l’action. Un système d’accréditat­ion fondé sur des critères objectifs permettrai­t justement de discrédite­r cette hypothèse en clarifiant les rôles des uns et des autres qui sont évidemment bien différents.

Le débat sur les critères n’a jamais eu lieu mais la pratique de parlements à l’étranger pourrait être une source d’inspiratio­n

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