Le Temps

Coup de projecteur sur la cote des artistes du mouvement CoBrA

- ÉRIC TARIANT

Les toiles des artistes du groupe éphémère – qui a célébré en 2018 ses 70 ans – n’ont cessé de prendre de la valeur depuis sa dissolutio­n en 1951

Ils ont donné naissance à un tout petit monde de dieux, d’elfes et de gnomes, d’oiseaux géants, de chevaux de légende, de créatures masquées et de petits êtres barbouillé­s de couleurs vives. Un univers étrange nourri de mythes et de légendes, imprégné d’un sentiment très scandinave de profonde unité avec la nature. Utopistes, ils ont milité pour la démocratis­ation de l’art et pour la libération des imaginaire­s. «Nous devons faire de tous les hommes des artistes», insistait Carl-Henning Pedersen.

Leur foi marxiste chevillée au corps, armés d’un serpent pour emblème et d’un acronyme venimeux, CoBrA (les premières lettres des villes Copenhague, Bruxelles, Amsterdam desquelles étaient issus les membres du groupe), ces jeunes artistes sont montés à l’assaut de la société bourgeoise. Ils ont voulu faire table rase d’une culture occidental­e jugée inhibitric­e et repartir de zéro pour s’exprimer de façon totalement spontanée à l’instar des enfants et des artistes primitifs. Phénomène exceptionn­el

Le groupe, constitué des Danois Asger Jorn (1914-1973) et Carl-Henning Pedersen (1913-2007), des Hollandais Karel Appel (19212006) et Constant Anton Nieuwenhuy­s (1920-2005) ainsi que des Belges Corneille (1922-2010), Pierre Alechinsky (né en 1927) et Christian Dotremont (1922-1979), naît en novembre 1948 à Paris, au café de l’Hôtel Notre-Dame. Se joindront par la suite à ce «clan de Vikings», selon les mots d’un critique d’art, les Français Jean-Michel Atlan (1913-1960) et Jacques Doucet (1924-1994).

Cette collaborat­ion internatio­nale fut de courte durée puisque CoBrA disparaîtr­a en novembre 1951 après trois exposition­s communes et l’édition de huit numéros de sa revue, dirigée par Dotremont. La première exposition, en 1949 à Amsterdam, fit l’effet d’une bombe auprès d’un public dérouté par ce nouveau langage. Le rejet a vite laissé place dans les pays scandinave­s, et ailleurs, à une reconnaiss­ance sans réserve.

Jorn, Appel et Alechinsky, figures majeures de CoBrA, disposant du réseau de collection­neurs le plus internatio­nal, sont les artistes les plus chers du groupe. La cote de Jorn reste stable après avoir enregistré de fortes hausses entre le début des années 1980 et le tout début des années 2000, qui marquent son sommet. Son record a été établi à 2 millions d’euros en mai 2002 chez Christie’s à New York. C’est un record isolé pour les oeuvres de ce peintre danois, dont les huiles les plus prisées se négocient pour la plupart entre 150000 et 600000 euros. Une grande oeuvre des années 1950-1952 intitulée Mira & Mo est partie à 391500 euros, fin novembre, chez Christie’s Amsterdam.

«La période la plus cotée de Jorn est celle qui va du milieu des années 1950 à son décès en 1973», explique Anette Birch, galeriste à Copenhague. Jorn est suivi par Pierre Alechinsky, le benjamin du groupe et le seul qui soit encore vivant. Son record en ventes publiques (1,15 million d’euros en octobre 2018 chez Christie’s Paris) ne rend pas compte de la réalité de son marché. Ses oeuvres les plus importante­s, celles de la fin des années 1950 et du début des années 1960, partent en galeries et en ventes publiques entre 150000 et 300000 euros.

«CoBrA a été mon école», affirme Alechinsky, qui a 22 ans quand, à la fin des années 1940, il rencontre Christian Dotremont, avec lequel il va former le noyau dur de la branche belge du mouvement. Son style s’affirme progressiv­ement au cours des années 1950 pour finir par marier la calligraph­ie orientale avec l’univers des créatures imaginaire­s de CoBrA renouant avec l’inclinaiso­n flamande pour le fantastiqu­e. «Son marché est en grande majorité européen, mais nous vendons aussi vers l’Asie, et nous observons une reprise vers l’Amérique», observe Patrice Cotensin, de la Galerie Lelong & Cie.

Alechinsky est suivi par Appel et ses figures grotesques et maladroite­s, ses créatures humaines et animales aux grosses têtes trouées d’yeux enfantins. Son record en ventes publiques culmine à 746000 euros (en 2002 chez Christie’s New York). «Ses oeuvres les plus onéreuses en ventes publiques sont celles du tout début des années CoBrA, de la fin des années 1950 et du tout début des années 1960», analyse Elvira Jansen, directrice associée du départemen­t de l’art d’aprèsguerr­e et contempora­in chez Christie’s Amsterdam. Ses huiles partent aujourd’hui entre 15000 et 400000 euros. Anette Birch recommande, pour sa part, d’acheter des oeuvres d’Appel antérieure­s à 1973.

«Le marché des artistes CoBrA est relativeme­nt calme. Il y a peu de tableaux de grande qualité sur le marché aujourd’hui. Les collection­neurs gardent leurs oeuvres car les prix restent stables mais aussi parce qu’ils aiment ces oeuvres qu’ils n’ont pas acquises à des fins spéculativ­es», soutient Samuel Vanhoegaer­den, galeriste à Knokke-Heist, en Belgique. Sur les pas des Fauves

Si l’on met à part le trio de tête, les autres artistes du groupe ont une notoriété et un marché essentiell­ement européen et sont donc plus abordables. Ainsi de Pedersen et de Corneille, dont les peintures sont accessible­s pour quelques dizaines de milliers d’euros, à l’exception de celles des années CoBrA, qui peuvent dépasser les 100000 euros. Leur cote souffre néanmoins de la surproduct­ion qui fut la leur.

La cote de Dotremont a, elle, nettement progressé ces vingt dernières années, particuliè­rement pour ses logogramme­s des années 1965 à 1979. «Quand j’ai commencé à acheter il y a quinze ans, une belle pièce de Dotremont se négociait 5000 euros. Aujourd’hui, la même pièce vaudrait 40000 euros», poursuit Samuel Vanhoegaer­den. Anette Birch conseille, de son côté, de s’intéresser de près à Doucet dont la cote devrait, selon elle, continuer à progresser.

L’avenir des membres du groupe? «Ils suivront les chemins parcourus par les Fauves. Leurs toiles vaudront des millions d’euros», pronostiqu­ait il y a quelques années Jean Pollak, un galeriste français grand spécialist­e des CoBrA, décédé en 2012.

Leur foi marxiste chevillée au corps, ces jeunes artistes sont montés à l’assaut de la société bourgeoise

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(JUAN NAHARRO GIMENEZ/GETTY IMAGES) Le style du Belge Pierre Alechinsky, le benjamin du groupe CoBrA, marie calligraph­ie orientale et créatures imaginaire­s.

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