Le Temps

La pêche industriel­le affame les oiseaux

- MARTINE VALO (LE MONDE)

Les oiseaux qui vivent au-dessus de la mer disparaiss­ent en masse. Ils ont décliné de 70% entre 1950 et 2010. Victimes de l’invasion du plastique, des pollutions multiples ou de la destructio­n d’écosystème­s. Mais un autre facteur pourrait être en cause: le fol essor de la pêche industriel­le qui prive pétrels, sternes et frégates de leur nourriture.

Pétrels, sternes, frégates… les oiseaux qui volent au-dessus des mers disparaiss­ent massivemen­t. Une des causes pourrait être la concurrenc­e entre l’activité prédatrice du secteur de la pêche et celle des oiseaux, d’après une nouvelle étude

De toutes les familles d’oiseaux, ceux qui vivent au-dessus des mers sont ceux qui disparaiss­ent le plus massivemen­t. Ils ont décliné de 70% entre 1950 et 2010. Comme la faune sous-marine, ils subissent directemen­t les maux de l’océan: invasion de plastique et pollutions multiples, réchauffem­ent et acidificat­ion, destructio­n d’écosystème­s comme les récifs coralliens et les mangroves. Cependant, l’analyse scientifiq­ue publiée jeudi 6 décembre dans la revue Current Biology pose une question plus basique: pétrels, sternes, frégates, manchots ne sont-ils pas d’abord en train de mourir de faim, privés de leur nourriture par le développem­ent de la pêche tout autour de la planète?

«En tant qu’écologue de terrain, j’étais frustré de constater que cette dimension-là était peu prise en compte, alors qu’en étudiant les fous du Cap en Afrique du Sud et ceux de Bassan, habitués de la réserve ornitholog­ique des Sept-Iles en Bretagne, j’ai pu constater que ces derniers avaient «fondu», perdant beaucoup de poids au fil des années», témoigne David Grémillet. Chercheur du Centre national français de la recherche scientifiq­ue (CNRS) au Centre d’écologie fonctionne­lle et évolutive (CEFE) à Montpellie­r, il est l’auteur principal de l’article – premier du genre à l’échelle mondiale et sur une durée de plusieurs décennies –, consacré à la concurrenc­e entre l’activité prédatrice du secteur de la pêche et celle des oiseaux de mer.

Pression sur la ressource halieutiqu­e

Malgré le déclin des communauté­s d’oiseaux, ce niveau de compétitio­n est resté assez stable en quarante ans, avec un indice de chevauchem­ent de 0,429 au début, puis 0,436 à la fin de la période considérée, observe le chercheur. Autrement dit, entre 1970 et 2010, les oiseaux, bien que moins nombreux, n’ont pas vu leur part de nourriture progresser, car les humains n’ont cessé d’accentuer leur pression sur la ressource halieutiqu­e. La concurrenc­e a même augmenté dans près de la moitié des zones de pêche, en particulie­r dans certains points chauds comme les côtes du Pérou, celles de Californie, la mer de Norvège, en Méditerran­ée et d’une façon générale dans l’océan Austral et en Asie.

La concurrenc­e a augmenté dans près de la moitié des zones de pêche

Pour parvenir à ces conclusion­s alarmantes, David Gremillet et ses coauteurs du CEFE, et des université­s du Cap en Afrique du Sud et Aberdeen en Ecosse, ont travaillé à partir de la base de données Sea Around Us, constituée par le célèbre spécialist­e des pêches, Daniel Pauly, avec son équipe de l’Institut pour les océans et les pêcheries de l’Université de Colombie-Britanniqu­e à Vancouver (Canada), et d’autres recensemen­ts de l’ONG Birdlife Internatio­nal notamment.

Le choix de la période correspond à celle où les données sur les population­s d’oiseaux sont les plus fournies. Elle a été divisée en deux pour mesurer les évolutions: une première ère va de 1970 à 1989, la seconde de 1990 à 2010. Au total, 276 espèces réparties en 1482 population­s (soit 530 millions d’individus d’abord, puis 470 millions, ce qui correspond à environ 60% des oiseaux de mer dans le monde) ont été prises en compte.

La ration alimentair­e moyenne de chaque individu en fonction de son poids, ses besoins en période de nidificati­on ou non: ces différents aspects ont nourri des modèles évaluant la consommati­on globale des oiseaux de mer. De 70 millions de tonnes par an durant la période 1970-1989, celle-ci est descendue à 57 millions de tonnes entre 1990 et 2010, soit une baisse de 19%. Les stocks de poissons à se mettre sous le bec, petits pélagiques comme les anchois ou les sardinelle­s entre autres, le krill et surtout les calamars, viennent à manquer. Dans le même temps, les prises de la pêche mondiale croissaien­t de 59 millions de tonnes par an en moyenne jusqu’en 1989, à 65 millions de tonnes à partir de 1990.

Dépérissem­ent des pétrels

D’autres travaux de Daniel Pauly ont montré que les quantités de poissons et crustacés prélevés en mer ont désormais tendance à stagner, malgré des techniques de pêche de plus en plus performant­es. Non parce que le secteur devient plus raisonnabl­e tout autour de la planète, mais parce que la ressource se raréfie. Ce qui ne va pas améliorer le sort des oiseaux de mer: l’Union internatio­nale pour la conservati­on de la nature a classé 38% de 346 espèces de leur groupe sur sa liste des animaux menacés ou quasi menacés à l’échelle mondiale. Le dépérissem­ent est particuliè­rement marqué dans l’océan Austral et dans l’Atlantique Nord pour les pétrels plongeurs, dont la population a diminué de 66%, les sternes (48%), les frégates (47%).

Par le passé, ces animaux ont été confrontés à d’autres menaces, voyant leurs nids dévastés par des espèces invasives ou par des pathogènes, quand ce n’était pas les adultes qui finissaien­t en grand nombre dans la soupe. «Nous restons très prudents, cependant nous constatons que la pêche industriel­le constitue une contrainte majeure pour ces oiseaux qui devraient être considérés comme un emblème de la conservati­on marine, conclut David Grémillet. J’ai conscience qu’avec cette étude nous apportons une mauvaise nouvelle de plus vis-à-vis de la biodiversi­té, mais il existe des solutions: les aires marines protégées, les zones sans pêche donnent de bons résultats.»

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(EDUCATION IMAGES/UNIVERSAL IMAGES GROUP VIA GETTY IMAGES) Les stocks de poissons à se mettre sous le bec viennent à manquer.

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