Le Temps

Qui rit des gilets rira jaune

- REBECCA RUIZ @reb_ruiz

Le contraste était parfait. Mercredi passé, le parlement renouvelai­t le gouverneme­nt en élisant deux femmes à la compétence reconnue, sans avoir besoin de plus d’un tour de scrutin à chaque fois.

Le même jour, l’exécutif français se réveillait avec la gueule de bois. Les suites d’une journée passée à faire aux manifestan­ts en furie exactement le type de concession­s qu’il s’était engagé à ne jamais pratiquer. En constatant de plus qu’elles ne seraient pas suffisante­s.

Eruption populaire et vindicativ­e contre institutio­ns stables et apaisées. Voilà qui a fait dire à plus d’un commentate­ur que jamais nous n’aurions, en Suisse, de «gilets jaunes». C’est peut-être vrai sur la forme: la culture de la mobilisati­on sociale est différente ici. La démocratie directe, comme le fédéralism­e, prévient dans bien des cas l’émergence d’un mouvement national. Mais sur le fond, est-ce aussi simple? J’ai quelques doutes.

Deux jours plus tard, le Conseil fédéral, obligé de se positionne­r sur le résultat des négociatio­ns sur un accord-cadre avec l’Union européenne, décide de ne rien décider. Jusque-là, rien de vraiment étonnant. Une rupture frontale aurait été un geste de rejet inutile. Quant à valider le projet, cela semble, à ce stade, strictemen­t impossible, car il comprend de nombreuses remises en question des mesures d’accompagne­ment. Le fruit, sans doute, d’un peu de ce que nos voisins appellent la déconnexio­n des dirigeants. Car c’est bien une telle perte de repères qui a pu faire croire à un Conseiller fédéral qu’on pouvait vendre à l’opinion un affaibliss­ement de la protection des salaires…

Vue sous cet angle, la décision du Conseil fédéral d’ouvrir une large consultati­on publique sur le projet d’accord qu’il sait inacceptab­le rappelle un autre contre-feu. Celui, précisémen­t, du premier ministre français qui décrétait lui aussi un grand débat national sur les taxes écologique­s et le pouvoir d’achat.

Gardons-nous donc de donner trop de leçons. Sans doute, notre démocratie fonctionne mieux. Et pourtant, il peut arriver que le sommet de l’Etat ne sache pas comment prendre en compte des aspiration­s populaires qu’il ne comprend pas tout à fait. En Suisse, la colère façon «gilets jaunes» s’exprime aussi parfois: dans les urnes. Et sans une seule banderole ni un seul slogan, cette simple perspectiv­e peut désarmer un gouverneme­nt.

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