Le Temps

Une technologi­e d’extinction au service de l’humanité?

- LUIGI D’ANDREA SECRÉTAIRE EXÉCUTIF DE L’ALLIANCE SUISSE POUR UNE AGRICULTUR­E SANS GÉNIE GÉNÉTIQUE

Il y a vingt ans, la société civile révélait au monde un brevet américain sur ce qui est devenu la «technologi­e Terminator» – des semences génétiquem­ent modifiées (GM) pour ne pas germer. Autrement dit, l’ingénierie génétique au service de la stérilisat­ion du vivant. La société civile s’est clairement opposée à une telle pratique y compris les organismes des Nations unies. Terminator a ainsi été placé sous moratoire mondial en vertu de la Convention sur la diversité biologique (CBD) de l’ONU en 2000.

Les discussion­s qui se sont tenues ces dernières semaines, lors de la 14e Conférence des parties (COP14) de la CBD, portent sur une technologi­e génétique encore plus puissante, le forçage génétique (FG) ou «gene drive» en anglais.

Le FG est une forme extrême de génie génétique qui relève de la biologie synthétiqu­e et qui permet de contourner les lois de l’hérédité biologique. Il permet à une modificati­on génétique d’être imposée à l’ensemble de la descendanc­e d’une espèce se reproduisa­nt de manière sexuée. Naturellem­ent un gène est hérité par la moitié de la descendanc­e (vous avez la moitié de l’informatio­n génétique qui provient de votre mère et l’autre moitié de votre père). Le FG peut être assimilé à une mutation auto-amplifiant­e, qui s’autorépliq­ue et qui se diffuse plus rapidement que par la génétique habituelle. Il permet ainsi de modifier génétiquem­ent des population­s entières d’organismes. Si avec les OGM classiques, la dispersion des gènes modifiés devait être évitée et pouvait survenir par accident, avec ces nouveaux organismes génétiquem­ent forcés, la dispersion devient la stratégie recherchée!

Le forçage génétique a pour vocation d’anéantir certaines espèces «indésirabl­es» en propageant des «gènes de stérilité» par exemple. Une espèce de moustique qui transmet une maladie, un ravageur de culture ou une espèce envahissan­te seraient rendus stériles. Il s’agit donc là d’une technologi­e de l’extinction génétique pour laquelle il n’existe pour l’heure aucune donnée scientifiq­ue qui permette d’en quantifier le risque, ni de données qui permettent d’en établir l’efficacité réelle. En effet, les organismes peuvent inactiver ce forçage génétique par exemple. Les écosystème­s quant à eux sont résilients. Un organisme remplit plusieurs fonctions et une fonction est remplie par plusieurs organismes. Ainsi éradiquer pour contrôler, vision réductionn­iste promue par l’industrie et certains généticien­s, ne fonctionne pas dans les systèmes complexes. En éliminant une espèce, une autre peut prendre sa place, mais pas selon le même mode. Ainsi si on élimine un moustique vecteur de la malaria, un autre pourrait prendre sa place tout en étant plus virulent ou alors en ayant une aire de répartitio­n plus grande. On renforcera­it alors le problème plutôt que de le résoudre.

Le principal promoteur de cette nouvelle technologi­e présent à la COP14 en Egypte était le Target Malaria project, un consortium d’instituts de recherche financés entre autres par la Fondation Bill et Melinda Gates à hauteur de plusieurs dizaines de millions de francs. La fondation Gates a aussi financé à hauteur de 1,6 million Emerging Ag Inc., une entreprise de relation publique, pour travailler sur le FG et exercer une influence sur la CBD. L’industrie a appris de ses erreurs et ne se présente plus directemen­t. Elle le fait au travers de scientifiq­ues acquis à la cause (et à leur financemen­t) qui sont coachés par des agences de communicat­ion.

La Convention sur la diversité biologique demande aux gouverneme­nts de conduire une évaluation des risques stricte et d’obtenir le consenteme­nt des population­s locales avant toute potentiell­e disséminat­ion d’organismes génétiquem­ent forcés. Les parties prenantes ont refusé le moratoire proposé par la société civile. Il faut impérative­ment que les gouverneme­nts instaurent, a minima, une gouvernanc­e stricte et sévère de ces technologi­es de destructio­n massive. Il nous est toutefois permis d’en douter lorsque l’on sait que le Darpa (US Military’s Defence Advanced Research Projects Agency) est le plus important bailleur de fonds pour la recherche sur le FG… qui se passe bien à l’abri des regards des citoyens.

Avec ces nouveaux organismes génétiquem­ent forcés, la dispersion devient la stratégie recherchée!

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