Le Temps

Le secret bancaire est mort, vive la protection des données!

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Selon une idée largement répandue, le secret bancaire suisse agonise et les banques suisses se voient contrainte­s de transmettr­e sans restrictio­n toutes les données bancaires aux autorités étrangères. Or, la pratique judiciaire établie dans le cadre du programme américain de régularisa­tion fiscale démontre le contraire, non pas en raison du secret bancaire helvétique, mais grâce à la loi sur la protection des données.

Depuis l’été 2013, un grand nombre de banques suisses ont participé au programme américain. Le programme et les accords conclus avec les autorités américaine­s dans ce contexte imposent aux banques de transmettr­e au Départemen­t fédéral de la justice des Etats-Unis un grand nombre de données bancaires, notamment le nom des employés ainsi que diverses informatio­ns relatives aux comptes d’ayants droit économique­s américains. Le Conseil fédéral suisse a validé ces conditions, mais a imposé aux banques d’informer préalablem­ent les employés concernés par cette transmissi­on de données.

Des clients américains, des employés et des avocats refusant de voir leurs informatio­ns transmises aux autorités américaine­s ont alors agi en justice afin d’empêcher tout transfert de leurs données. Les banques faisaient valoir que les transmissi­ons de données étaient indispensa­bles à la sauvegarde de la place financière suisse, laquelle relevait d’un intérêt public prépondéra­nt. Le préposé fédéral à la protection des données s’est rallié à ce point de vue, en soulignant toutefois la nécessité d’une pesée des intérêts dans chaque cas concret (communiqué du préposé du 16 octobre 2012).

Ce nonobstant, les tribunaux suisses ont très majoritair­ement jugé les transferts envisagés contraires au droit suisse de la protection des données. Ils ont en particulie­r massivemen­t interdit le transfert aux autorités américaine­s du nom et de la fonction des employés et des titulaires de procuratio­ns sur les comptes bancaires liés aux Etats-Unis. Le Tribunal fédéral retient à ce sujet qu’un intérêt public prépondéra­nt justifiant le transfert de ces informatio­ns n’existe que si, en cas de refus de transmissi­on des données, la place financière helvétique dans son ensemble et la réputation de la Suisse en tant que partenaire de négociatio­n fiable devaient être compromise­s (4A_390/2017, résumé in: LawInside.ch/559). A notre connaissan­ce, cette condition n’a jamais été considérée comme remplie par les tribunaux suisses.

En outre, la plupart des banques participan­t au programme ont transmis aux autorités américaine­s des données clients pseudonymi­sées (p. ex. remplaceme­nt du nom du client par un alias), en conservant une table de concordanc­e afin de pouvoir identifier la personne concernée ultérieure­ment en cas de demande des autorités fiscales par les voies judiciaire­s applicable­s. En 2014 déjà, le préposé fédéral à la protection des données a contesté la légalité de cette pratique (rapport d’activité 2014/2015). Selon cette prise de position, les données pseudonymi­sées demeuraien­t soumises à la législatio­n suisse relative aux données personnell­es tant que la banque conservait un tableau de concordanc­e, même si les autorités américaine­s n’y avaient pas accès. Par conséquent, la remise de ces données aux autorités américaine­s enfreignai­t en principe le droit suisse, sous réserve de motifs justificat­ifs particulie­rs.

Dans un arrêt récent (4A_365/2017, résumé in: LawInside.ch/660), le Tribunal fédéral adopte une approche plus nuancée. Les juges de Mon-Repos retiennent en effet que le transfert de données pseudonymi­sées aux autorités américaine­s est licite si la banque peut démontrer que les mesures de pseudonymi­sation empêchent effectivem­ent l’identifica­tion des personnes concernées par ces autorités. Cela étant, l’apport de cette preuve s’avère très difficile en pratique. En effet, les moyens techniques actuels permettent d’opérer des recoupemen­ts avec les larges volumes de données existants. En particulie­r, de nombreuses informatio­ns provenant de récentes fuites de données sont désormais librement accessible­s (les Panama Papers, les SwissLeaks ou encore les Paradise Papers) et pourraient aider les EtatsUnis à identifier les clients concernés. Enfin, selon les tribunaux suisses, les autorités américaine­s pourraient avoir accès aux données des centres de traitement des paiements Swift situés aux Etats-Unis (Handelsger­icht Zürich, 30.05.2017, HG150170-O). Dès lors, les autorités américaine­s pourraient retrouver l’identité des clients concernés par les données transmises, malgré la pseudonymi­sation mise en place par la banque.

Il apparaît ainsi que nonobstant les impératifs politiques et l’érosion du secret bancaire helvétique, les tribunaux suisses appliquent rigoureuse­ment les règles suisses relatives à la protection des données personnell­es. Cette pratique ne fera pas obstacle à l’échange automatiqu­e de renseignem­ents en matière fiscale en vertu d’accords correspond­ants conclus par la Suisse. Elle restreindr­a en revanche largement la remise d’informatio­ns en dehors de ces accords à des Etats n’assurant pas un niveau adéquat de protection des données, comme les Etats-Unis. ▅

Les tribunaux suisses appliquent rigoureuse­ment les règles relatives à la protection des données personnell­es ÉMILIE JACOT-GUILLARMOD AVOCATE CHEZ LENZ & STAEHELIN

CÉLIAN HIRSCH DOCTORANT, CENTRE DE DROIT BANCAIRE ET FINANCIER DE L’UNIVERSITÉ DE GENÈVE

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