Le ras-le-bol fiscal, un rituel français
Commençons par le texte fondateur, dont les «gilets jaunes» aiment, ces jours-ci, reprendre en choeur quelques extraits. Dans son article 14, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 définit pour la première fois le consentement populaire à l’impôt en ces termes: «Les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée.»
Le lien est donc établi d’emblée entre la devise républicaine Liberté-Egalité-Fraternité, énoncée dans l’article 1 du texte, et l’acceptation par la population des taxes prélevées par l’Etat nouvellement instauré. «En transférant la souveraineté du roi à la nation, la Révolution française marque une rupture, note l’historien Nicolas Delalande dans un article sur la fiscalité de l’ancien département de Seine-et-Oise. L’impôt perdait son caractère de prélèvement arbitraire obtenu par l’exercice de la contrainte, pour devenir, selon la terminologie des révolutionnaires, une «contribution» versée volontairement par des citoyens éclairés et soucieux de participer au financement des dépenses d’intérêt général».
Il est assez facile, en partant de là, de lier les convulsions révolutionnaires successives au ras-le-bol fiscal. Le soulèvement de 1789 marque d’abord, rappelons-le, l’échec de Louis XVI à faire payer des impôts royaux à tous les Français pour financer, entre autres, la guerre d’indépendance américaine. C’est pour surmonter l’hostilité de la noblesse à payer plus de taxes que le monarque convoque, avec le soutien de son ministre (genevois) des Finances, Jacques Necker, les Etats Généraux. On connaît la suite…
Un «Enrichissez-vous» qui ne passe pas
Le feuilleton historique des relations étroites, en France, entre l’impôt et les révolutions se poursuit soixante ans plus tard, en 1848. Le protestant François Guizot dirige alors le gouvernement sous le règne de Louis-Philippe. Son «Enrichissez-vous» ne passe pas. Le peuple se sent – déjà – pris dans l’étau d’une administration fiscale mise sur pied par Napoléon pour pourvoir aux besoins financiers de la Grande Armée: «C’est un devoir pour nous de rendre hommage au système général des contributions de la France comme l’une des plus belles créations du génie organisateur qui a su reconstruire cet admirable ensemble d’impôts directs et indirects si habilement répartis par une véritable impartialité distributive entre la propriété territoriale et la richesse mobilière», se félicitait en 1840, le marquis d’Audiffret, président de la Cour des comptes. Sans voir que le fardeau de l’impôt épuisait la nation…
Le rituel français du ras-le-bol fiscal est, on le voit, bien plus qu’une réaction épidermique et financière aux taux record de prélèvements obligatoires. Que la France soit aujourd’hui le pays développé qui taxe le plus au monde ses concitoyens, à hauteur de 45,3% du PIB (le cap des 1000 milliards d’euros a été franchi en 2017) n’est qu’une partie de l’équation.
Collecte injuste et redistribution inadéquate
Le volcan populaire de la révolte fiscale se remet à gronder dans l’Hexagone lorsque deux autres mèches sont rallumées: la perception de l’injustice dans la collecte des taxes, d’une part, et l’absence de redistribution adéquate, d’autre part. Le trop d’impôts tue le consentement lorsque le peuple cesse d’en percevoir la justification, et la finalité. En clair: lorsque l’Etat prétend taxer pour se désendetter sans se serrer luimême la ceinture, sans afficher d’objectifs économiques clairs et compréhensibles par tous et sans renvoyer l’ascenseur en termes de services publics accrus.
Comment Emmanuel Macron, dès lors, peut-il sortir de cet engrenage? L’économiste Thomas Piketty plaide, lui, pour le rétablissement immédiat de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF, 5,2 milliards de recettes fiscales en 2016) auquel 72% des Français se disaient favorables avant sa transformation en taxe sur la rente immobilière.
Autre nécessité selon l’économiste libéral Jean-Marc Daniel, auteur du livre Les impôts, histoire d’une folie française (Ed. Tallandier): la simplification du labyrinthe fiscal français et du maquis de taxes indirectes qui frappent tous les ménages. «Ce qui domine dans le rapport des citoyens à l’action publique, c’est une large méconnaissance de son contenu, méconnaissance qui entretient la méfiance», assure-t-il. Impossible, en somme, de convaincre les Français de payer des impôts dont ils ne comprennent plus les raisons ni les modalités. CQFD.
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