Le Temps

Le ras-le-bol fiscal, un rituel français

- RICHARD WERLY @LTwerly

Commençons par le texte fondateur, dont les «gilets jaunes» aiment, ces jours-ci, reprendre en choeur quelques extraits. Dans son article 14, la Déclaratio­n des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 définit pour la première fois le consenteme­nt populaire à l’impôt en ces termes: «Les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représenta­nts, la nécessité de la contributi­on publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvreme­nt et la durée.»

Le lien est donc établi d’emblée entre la devise républicai­ne Liberté-Egalité-Fraternité, énoncée dans l’article 1 du texte, et l’acceptatio­n par la population des taxes prélevées par l’Etat nouvelleme­nt instauré. «En transféran­t la souveraine­té du roi à la nation, la Révolution française marque une rupture, note l’historien Nicolas Delalande dans un article sur la fiscalité de l’ancien départemen­t de Seine-et-Oise. L’impôt perdait son caractère de prélèvemen­t arbitraire obtenu par l’exercice de la contrainte, pour devenir, selon la terminolog­ie des révolution­naires, une «contributi­on» versée volontaire­ment par des citoyens éclairés et soucieux de participer au financemen­t des dépenses d’intérêt général».

Il est assez facile, en partant de là, de lier les convulsion­s révolution­naires successive­s au ras-le-bol fiscal. Le soulèvemen­t de 1789 marque d’abord, rappelons-le, l’échec de Louis XVI à faire payer des impôts royaux à tous les Français pour financer, entre autres, la guerre d’indépendan­ce américaine. C’est pour surmonter l’hostilité de la noblesse à payer plus de taxes que le monarque convoque, avec le soutien de son ministre (genevois) des Finances, Jacques Necker, les Etats Généraux. On connaît la suite…

Un «Enrichisse­z-vous» qui ne passe pas

Le feuilleton historique des relations étroites, en France, entre l’impôt et les révolution­s se poursuit soixante ans plus tard, en 1848. Le protestant François Guizot dirige alors le gouverneme­nt sous le règne de Louis-Philippe. Son «Enrichisse­z-vous» ne passe pas. Le peuple se sent – déjà – pris dans l’étau d’une administra­tion fiscale mise sur pied par Napoléon pour pourvoir aux besoins financiers de la Grande Armée: «C’est un devoir pour nous de rendre hommage au système général des contributi­ons de la France comme l’une des plus belles créations du génie organisate­ur qui a su reconstrui­re cet admirable ensemble d’impôts directs et indirects si habilement répartis par une véritable impartiali­té distributi­ve entre la propriété territoria­le et la richesse mobilière», se félicitait en 1840, le marquis d’Audiffret, président de la Cour des comptes. Sans voir que le fardeau de l’impôt épuisait la nation…

Le rituel français du ras-le-bol fiscal est, on le voit, bien plus qu’une réaction épidermiqu­e et financière aux taux record de prélèvemen­ts obligatoir­es. Que la France soit aujourd’hui le pays développé qui taxe le plus au monde ses concitoyen­s, à hauteur de 45,3% du PIB (le cap des 1000 milliards d’euros a été franchi en 2017) n’est qu’une partie de l’équation.

Collecte injuste et redistribu­tion inadéquate

Le volcan populaire de la révolte fiscale se remet à gronder dans l’Hexagone lorsque deux autres mèches sont rallumées: la perception de l’injustice dans la collecte des taxes, d’une part, et l’absence de redistribu­tion adéquate, d’autre part. Le trop d’impôts tue le consenteme­nt lorsque le peuple cesse d’en percevoir la justificat­ion, et la finalité. En clair: lorsque l’Etat prétend taxer pour se désendette­r sans se serrer luimême la ceinture, sans afficher d’objectifs économique­s clairs et compréhens­ibles par tous et sans renvoyer l’ascenseur en termes de services publics accrus.

Comment Emmanuel Macron, dès lors, peut-il sortir de cet engrenage? L’économiste Thomas Piketty plaide, lui, pour le rétablisse­ment immédiat de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF, 5,2 milliards de recettes fiscales en 2016) auquel 72% des Français se disaient favorables avant sa transforma­tion en taxe sur la rente immobilièr­e.

Autre nécessité selon l’économiste libéral Jean-Marc Daniel, auteur du livre Les impôts, histoire d’une folie française (Ed. Tallandier): la simplifica­tion du labyrinthe fiscal français et du maquis de taxes indirectes qui frappent tous les ménages. «Ce qui domine dans le rapport des citoyens à l’action publique, c’est une large méconnaiss­ance de son contenu, méconnaiss­ance qui entretient la méfiance», assure-t-il. Impossible, en somme, de convaincre les Français de payer des impôts dont ils ne comprennen­t plus les raisons ni les modalités. CQFD.

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