Le Temps

Theresa May et le casse-tête du Brexit

Alors que les députés se déchirent, le vote prévu ce mardi aux Communes sur l’accord de retrait de l’UE est repoussé, mais sans rien résoudre

- t ERIC ALBERT, LONDRES @IciLondres

EUROPE La première ministre britanniqu­e a annoncé lundi au parlement le report du vote sur l’accord de Brexit qui était prévu ce mardi.

Theresa May a finalement décidé de reculer. Elle qui est d’habitude particuliè­rement têtue a dû se rendre à l’évidence: elle allait à l’abattoir avec le vote au parlement prévu ce mardi sur l’accord du Brexit. Le tiers de ses propres députés avaient fait connaître leur opposition, menant une rébellion sans précédent dans l’histoire récente de la politique britanniqu­e. La première ministre est donc allée lundi devant la Chambre des communes pour annoncer que le vote était repoussé sine die, une défaite d’une «marge significat­ive» étant inévitable, selon ses propres mots.

A courte échéance, elle va tenter de renégocier auprès des leaders européens. Elle sera notamment présente au sommet de jeudi et vendredi à Bruxelles. Mais elle ne se fait guère d’illusion. Les Européens ont prévenu qu’ils n’avaient pas l’intention de rouvrir le dossier et de faire des concession­s. Theresa May en est consciente.

Des compromis nécessaire­s

Sur son habituel ton de maîtresse d’école, elle a donc interpellé les députés. «Est-ce que la Chambre des communes veut vraiment faire passer le Brexit? Est-ce qu’elle veut un accord avec l’Union européenne? Si la réponse est oui, nous devons nous demander si nous sommes prêts à faire des compromis. Parce qu’il n’y aura pas de Brexit durable et qui fonctionne sans faire des compromis des deux côtés de la Chambre.»

Le recul temporaire de Theresa May illustre l’impasse complète dans laquelle se trouve le RoyaumeUni. L’accord sur le Brexit rassemble contre lui une coalition hétéroclit­e, qui va des Brexiters les plus ardents aux pro-européens les plus convaincus, en passant par les indépendan­tistes écossais, les unionistes nord-irlandais et l’opposition travaillis­te.

«Si vous voulez un deuxième référendum, reconnaiss­ez honnêtemen­t que cela risque de diviser à nouveau le pays» THERESA MAY, PREMIÈRE MINISTRE BRITANNIQU­E

Si les députés sont tous contre lui, aucun ne propose d’alternativ­e qui s’impose. «Il n’y a de majorité à la Chambre des communes pour aucune solution: ni pour l’accord, ni pour renverser Theresa May, ni pour organiser un deuxième référendum, ni pour faire élire Jeremy Corbyn [le leader du parti travaillis­te]», constate Bridget Fowler, du groupe universita­ire UK in a Changing Europe. Le Brexit morcelle le parlement britanniqu­e en sousgroupe­s qui semblent incapables de se réconcilie­r, le tout dans une ambiance délétère.

«Je déteste la situation actuelle, s’agace Nicholas Soames, député conservate­ur et petit-fils de Winston Churchill. C’est la pire période que j’ai connue de mes [trentecinq] années en tant que député. L’atmosphère est empoisonné­e et particuliè­rement déplaisant­e, opposant collègues à collègues.» Divisions de toutes parts

Les divisions des députés reflètent l’atmosphère qui règne dans l’ensemble du Royaume-Uni. Deux ans et demi après le référendum, et alors que le Brexit est censé entrer en vigueur dans trois mois et demi – le 29 mars 2019 – le pays reste amèrement divisé. Londres (contre le Brexit) s’oppose au reste de l’Angleterre (pour le Brexit); l’Angleterre s’oppose à l’Ecosse; l’Irlande du Nord est divisée entre unionistes protestant­s et républicai­ns catholique­s. Les jeunes (contre le Brexit) s’opposent aux vieux; les pêcheurs (pour le Brexit) s’opposent aux industriel­s; ceux qui ont un diplôme universita­ire (contre le Brexit) s’opposent à ceux qui n’ont pas fait de longues études. La fracture traverse les familles, provoque des querelles entre amis, hérisse les 3,8 millions d’Européens qui vivent outreManch­e… Elle divise aussi au sein des partis politiques et c’est aujourd’hui le coeur du problème.

Les conservate­urs sont désormais divisés en trois clans: une minorité prête à un Brexit sans accord, une autre minorité qui réclame un nouveau référendum pour espérer annuler le résultat du premier, et une majorité – insuffisan­te – qui soutient l’accord. Les travaillis­tes se déchirent également. Cette fois-ci, la rupture vient du sommet: Jeremy Corbyn, leur leader, rêve d’utiliser le chaos actuel pour arriver au pouvoir. Il réclame à grands cris l’organisati­on d’élections législativ­es anticipées et promet qu’il rapportera­it un meilleur accord sur le Brexit que celui de Theresa May. Il se garde pourtant bien de préciser comment il compte s’y prendre. Le reste des députés travaillis­tes est en faveur d’une sortie de l’UE la plus douce possible, voire d’un deuxième référendum.

L’organisati­on d’une nouvelle consultati­on populaire est pourtant un piège qui oublie de prendre en compte la déchirure

Le recul temporaire de Theresa May illustre l’impasse complète dans laquelle se trouve le Royaume-Uni.

interne du pays. Les sondages indiquent que les Britanniqu­es sont encore partagés en deux camps, presque égaux: certes, il existe désormais une majorité pour rester dans l’UE, mais celle-ci oscille entre 52% et 56% des opinions. Cela reste dans la marge d’erreur. «Le résultat d’un deuxième référendum serait très incertain», estime John Curtice, spécialist­e des sondages à l’Université de Strathclyd­e. Theresa May le disait lundi: «Si vous voulez un deuxième référendum, reconnaiss­ez honnêtemen­t que cela risque de diviser à nouveau le pays.» Malgré les débats internes qui n’en finissent pas, malgré l’acrimonie généralisé­e, chacun reste campé sur ses positions. C’est vrai aussi chez les députés. S’il évite la catastroph­e politique immédiate, le report du vote ne résout rien.

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(PHIL NOBLE/REUTERS)

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