Le Brexit comme une oeuvre d’art
ROYAUME-UNI Les créateurs d’outre-Manche se sont emparés avec passion de la volonté de leurs compatriotes de quitter l’Union européenne. Les uns pour dénoncer les divisions de leur société, les autres pour s’inquiéter d’un pays tout entier à la dérive
ROYAUME-UNI Après le parlement britannique, c’est au tour des artistes de s’emparer du référendum du 23 juin 2016 et de la suite des événements que tout le monde connaît. Films, romans, expositions et même un opéra se succèdent depuis des mois en explorant le thème d’un pays divisé et de sa sortie de l’Union européenne. Réalisées surtout par des opposants au Brexit, qui cherchent à comprendre l’origine du clivage entre les grandes villes et la périphérie, ces oeuvres laissent aussi entrevoir l’espoir d’une réconciliation.
Le parlement ne parle que de ça. La classe politique s’écharpe sur le sujet. Les entreprises sont suspendues à son évolution. Les familles se fissurent à cause de cela. Pour le meilleur ou pour le pire, le Royaume-Uni baigne en permanence dans le Brexit. Logiquement, le monde artistique est en train de s’emparer de ce riche terreau d’histoires et de conflits, qui en vient à définir le pays. Films, romans, expositions, comédies et même un opéra se succèdent depuis quelques mois, tous utilisant plus ou moins directement la sortie de l’Union européenne comme source d’inspiration. Les maisons d’édition ont même trouvé un surnom pour ce sous-genre: Brexlit, pour Brexit literature.
Un téléfilm, Brexit: The Uncivil War, diffusé sur Channel 4 lundi, a particulièrement retenu l’attention. Le scénario, écrit par James Graham, auteur de pièces et de films déjà très politiques, revient sur la campagne du référendum de 2016. Il se concentre sur le stratégiste méconnu du camp du leave, Dominic Cummings. Présenté comme un génie désagréable, asocial mais visionnaire, le personnage est décrit comme l’homme qui a fait basculer le résultat. Si cette vision est une extrême simplification des faits, elle permet un procédé narratif efficace et rythmé. Et le scénariste prévient: ce n’est qu’un début. «Je n’ai pas d’autre choix que de continuer avec le Brexit, qui fait maintenant partie de cette nation, qui va infecter l’ADN de chaque pièce de théâtre et de chaque film pour les cinquante prochaines années.»
Comment ne pas le comprendre? De nombreuses oeuvres s’étaient inscrites dans les années Thatcher – crise sociale, grèves historiques, montée en puissance des yuppies… – ou les années Blair – Cool Britannia, guerre en Irak… Un nouveau chapitre historique s’est ouvert avec le référendum, qui ne se refermera pas, quelle que soit l’issue des convolutions politiques actuelles. Deux grands thèmes dominent dans les oeuvres produites: une vision dystopique, dépeignant un Royaume-Uni à la dérive, violent, en colère; une approche plus sociale, tentant d’expliquer les profondes divisions du pays entre les grandes villes et les zones périurbaines ou rurales.
Un désir d’expliquer
Et l’Europe? Comme dans le débat politique, le sujet n’est pratiquement jamais abordé. Dans l’art comme dans la vie réelle, l’Union européenne n’a jamais été le sujet du Brexit.
L’un des défauts majeurs de ces oeuvres est qu’elles sont réalisées majoritairement par des opposants au Brexit qui cherchent à comprendre ce qui arrive à leur pays. Les artistes, londoniens, semblent redécouvrir avec une fascination d’ethnologue ce qui constitue leur pays.
Meike Ziervogel, qui dirige Peirene, une petite maison d’édition spécialisée dans la traduction d’auteurs européens en anglais, le reconnaît ouvertement. Peu après le référendum, elle a commandé à l’auteur Anthony Cartwright un roman pour expliquer le Brexit, événement qui lui a fait comprendre «qu’elle vivait dans un pays divisé». De son propre aveu, l’objectif était de comprendre «quelles peurs et quels espoirs ont poussé ses concitoyens à voter pour le Brexit».
Le résultat est The Cut, qui relate la malheureuse histoire d’amour d’un citadin, réalisateur de documentaires, et d’une ouvrière. Au
Ces artistes, des Londoniens, semblent redécouvrir avec une fascination d’ethnologue ce qui constitue leur pays
coeur d’une région pauvre des West Midlands, les protagonistes peinent à se comprendre l’un l’autre, ainsi que leurs mondes respectifs. «Nous devons au moins chercher à comprendre les gens avec lesquels nous ne sommes pas d’accord», avance Anthony Cartwright.
Douglas Board a eu la même approche. L’ancien fonctionnaire explique avoir été poussé à écrire par «l’ignorance et le mépris qui existent entre la classe dirigeante et la population». Il a publié en 2017 Time of Lies, une satire qui se projette en 2020. Le leader du Parti travailliste, Jeremy Corbyn, est devenu premier ministre, menant la suite des négociations avec Bruxelles. Ses décisions sont calamiteuses, son parti est divisé en deux, huit partis politiques coexistent, bataillant lors d’élections législatives chaotiques.
La tentation de la caricature
Ces fictions très proches de la réalité sont parfois hasardeuses. Dans Brexit: the Uncivil War, James Graham tombe dans la caricature des autres personnages. Nigel Farage et Boris Johnson y passent pour des simplets dépassés par les événements, ce qui est loin de la vérité. Mais ces oeuvres ont malgré tout l’avantage d’essayer de rapprocher les deux camps opposés du Royaume-Uni.
Grayson Perry, excellent plasticien, est sans doute l’un de ceux qui y parviennent le mieux. En 2017, il a réalisé deux immenses jarres, qu’il a décorées des images choisies, pour l’une, par des partisans du Brexit et, pour l’autre, par des opposants. L’artiste leur avait demandé de choisir ce qui représentait à leurs yeux la Grande-Bretagne qu’ils aimaient. Le résultat? Les deux vases sont presque identiques. Les deux camps ont choisi le bleu comme couleur, la théière comme symbole, la BBC comme marque dont ils étaient fiers, la campagne verte et les petits villages comme lieux qu’ils aimaient… «Le bruit du Brexit est une distraction du reste de notre vie, qui est bien plus civilisée», estime Grayson Perry. Une distraction qui n’a pas fini d’attirer les artistes.
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