Le Temps

Emmanuel Macron ne viendra pas à Davos

CONTESTATI­ON La nouvelle journée de mobilisati­on des révoltés, attendue ce samedi, intervient alors que la confiance des Français dans la politique est au plus bas

- RICHARD WERLY, PARIS @LTwerly

WEF Après Donald Trump retenu par le «shutdown», le président français renonce à son tour à sa participat­ion au Forum économique mondial. La raison: la crise sociale qui traverse le pays. La majorité des Français soutiennen­t toujours les «gilets jaunes» et leur confiance dans la politique ne cesse de s’éroder.

L’acte IX de la mobilisati­on des «gilets jaunes» a le feu vert d’une majorité de Français. 60% d’entre eux, selon le dernier sondage Elabe publié le 9 janvier, continuent de soutenir le mouvement qui, depuis la mi-novembre, déferle chaque samedi sur les villes de France. Preuve de l’inquiétude ambiante face à la montée de la violence contre laquelle le gouverneme­nt a prévu de déployer 80000 policiers à travers le pays – dont 5000 à Paris –, le soutien au mouvement a toutefois perdu 10 points depuis Noël (31% contre 41%) tandis que la sympathie à son égard demeure stable, à 29% des personnes interrogée­s. Début décembre, l’approbatio­n du mouvement culminait à 72%.

Sentiment dominant: la lassitude

Une autre étude, publiée vendredi, apporte un éclairage plus complet sur ce début d’année 2019, marqué par la poursuite du bras de fer entre le pouvoir exécutif français et les protestata­ires. Selon le baromètre de la confiance politique réalisé chaque année par l’institut Opinion Way et Sciences Po pour Le Figaro, un tsunami de mécontente­ment et de défiance envers la politique submerge aujourd’hui l’Hexagone, bientôt deux ans après l’élection à la présidence d’Emmanuel Macron. 32% des Français estiment que la lassitude est le sentiment dominant (en hausse de 8% par rapport à décembre 2017). 31% se disent «moroses» (en hausse de 8%). 31% sont «méfiants». Et 13% affirment avoir peur (en hausse de 5%). Tous les indicateur­s positifs – Sérénité (17%), Bien-être (14%), Confiance (11%) – sont en nette baisse. Signe révélateur: jamais le sentiment de peur n’avait été aussi élevé depuis… décembre 2009, en pleine tourmente financière mondiale.

Qu’en déduire sur la mobilisati­on des «gilets jaunes» et la poursuite de l’affronteme­nt politique, alors que le chef de l’Etat lancera le 15 janvier son «grand débat national» dans l’Eure, avant de se rendre trois jours plus tard dans le Lot? D’abord que ce mouvement conserve sa légitimité, dans un pays où, selon l’étude de Sciences Po, 58% des Français jugent que leurs enfants ont moins de chances de réussite que leur génération, et où 60% d’entre eux estiment que la situation économique de la France s’est dégradée en 2018 (33% la jugent un peu dégradée, 27% beaucoup). Ensuite que, parmi les revendicat­ions des «gilets jaunes», le coût de la vie et les questions fiscales caracolent en tête.

Selon le sondage d’Elabe, 48% des Français souhaitent aborder en priorité le pouvoir d’achat lors du grand débat national, et 44% veulent une réduction des impôts et des taxes. La question du chômage et des inégalités arrivent derrière, citées par 28% des sondés. Echo révélateur à la propositio­n d’instaurer un référendum d’initiative citoyenne (RIC), souvent entendue sur les barrages et les ronds-points: 27% des personnes interrogée­s qui se définissen­t comme «gilets jaunes» estiment que la participat­ion des citoyens aux décisions doit être à l’agenda de cette grande consultati­on supposée s’achever à la fin mars. A noter par contre: 3% seulement des Français interrogés par Sciences Po estiment que le mouvement des «gilets jaunes» est un événement qui «conduit à avoir confiance dans l’avenir». Oui aux protestati­ons donc. Mais sans guère d’illusions.

Patron de l’IFOP, un autre institut de sondage, Brice Teinturier nous avait confié en novembre 2018 que «la société française a renoué avec une forme d’exaspérati­on et de radicalité». Le constat, trois mois plus tard, est encore plus explosif. 75% des Français n’ont plus confiance (44% pas confiance du tout, 29% plutôt pas confiance) dans l’institutio­n présidenti­elle et dans le gouverneme­nt, soit le plus mauvais score enregistré par le baromètre de Sciences Po depuis décembre 2009. Les seuls élus à bénéficier encore d’une opinion majoritair­ement favorable sont les conseiller­s municipaux et les maires (54% et 58%), dont Emmanuel Macron a justement promis de faire le socle du débat national qui s’ouvre.

Un gouffre d’insatisfac­tion

Plus généraleme­nt, le rapport des Français à la politique est, en ce début 2019, un gouffre d’insatisfac­tion. 37% affirment avoir envers elle de la méfiance et 32% du dégoût alors que 2% seulement ressentent toujours du respect. Autre raison du succès du RIC: 85% des Français pensent que leurs dirigeants ne se préoccupen­t pas de leur avis et, fait nouveau, 70% d’entre eux disent ne plus faire confiance à l’Etat pour résoudre les problèmes du pays.

La fracture incarnée par les «gilets jaunes» et le retour de la lutte des classes en France apparaisse­nt enfin crûment. 69% des Français disent être d’accord avec l’affirmatio­n selon laquelle «pour établir la justice sociale, il faut prendre aux riches pour donner aux pauvres». 49% d’entre eux – soit le score le plus élevé depuis décembre 2010, en pleine crise de la dette souveraine grecque – disent souhaiter une «réforme en profondeur» du système capitalist­e. Quant aux meilleurs moyens de se faire entendre, la réponse est sans ambages: 42% des Français citent les manifestat­ions dans la rue. Un chiffre en hausse de 16% par rapport à décembre 2017.

49% des sondés disent souhaiter une «réforme en profondeur» du système capitalist­e

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(OLIVIER MORIN/AFP) Des voyageurs croisent des «gilets jaunes» à la place de la Bourse, à Paris.

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