Andy Murray, l’abandon au bout de la raquette
Depuis vingt mois, l’exnuméro 1 mondial lutte contre une hanche droite douloureuse. Il jouera à l’Open d’Australie, mais elle est près d’avoir le dernier mot
A quelques heures des premières balles (le tournoi débute lundi), Melbourne baigne dans une atmosphère de derniers jours de vacances avant la rentrée des classes. Le petit monde du tennis professionnel se retrouve sous le soleil austral. Certains joueurs semblent même heureux de revoir des journalistes. Aux premières conférences de presse, on sent que les questions sont souvent improvisées. Bref, tout le monde se remet gentiment à l’ouvrage dans une ambiance plutôt joyeuse. Et puis arrive Andy Murray.
Le Britannique est de retour à l’Open d’Australie. Cinq fois finaliste (aucune victoire), il était venu l’an dernier à Melbourne pour se retirer du tournoi et se faire opérer de la hanche, un repos de six mois ayant été sans effet. Il avait ensuite réalisé une sorte de Grand Chelem médical, déclarant forfait à Roland-Garros, Wimbledon et l’US Open. En 2018, il n’a gagné que huit matchs et a chuté au 230e rang mondial, mais comme Roger Federer et Rafael Nadal sont revenus au sommet en 2017, Novak Djokovic en 2018, on se dit qu’en 2019, ce sera le tour d’Andy Murray (et aussi peut-être de Stan Wawrinka).
«J’ai mal»
«Comment ça va, Andy?» Les questions les plus «con» sont souvent les meilleures. Andy Murray peine à bredouiller une réponse intelligible («Pas terrible…»), réprime un sanglot, ne peut contenir les autres, cache son visage dans sa main, sous la visière de sa casquette. Le temps est suspendu, la conférence de presse également.
Il sort, revient quelques minutes plus tard, s’excuse sommairement et s’élance sans attendre dans une longue tirade: «Je me bats depuis longtemps, j’ai mal depuis vingt mois maintenant, j’ai pratiquement tenté tout ce qu’il était possible de faire pour que ma hanche aille mieux, ça n’a pas donné grand-chose, je vais un peu mieux qu’il y a six mois mais la douleur est toujours forte. Je vais jouer. Je peux jouer, mais pas comme j’aimerais le faire, et avec trop de douleur, vraiment. Mi-décembre, j’ai parlé à mon entourage pour leur dire que je ne pouvais pas continuer comme ça. J’avais besoin d’une échéance, mon idée était de m’arrêter en juin à Wimbledon, mais je ne sais pas si je pourrai aller jusque-là. Il y a des chances que mon prochain match [contre l’Espagnol Roberto Bautista-Agut, tête de série numéro 22] soit le dernier.»
Un exorcisme
S’il doit partir maintenant, Andy Murray peut se retirer la tête haute. Numéro 1 mondial en 2016, trois fois vainqueur en Grand Chelem, champion olympique (2012), vainqueur de la Coupe Davis (2015) et surtout (double) vainqueur à Wimbledon (2013 et 2016), cet Ecossais à la fois pudique et colérique a effacé à lui seul les décennies d’humiliations endurées par le tennis britannique. Il y a ajouté un fairplay, une intelligence tactique, un humour sur lui-même (il postait récemment une photo de lui avec le trophée de l’Open d’Australie et cette légende: «Jamais été aussi près…»), un respect du tennis féminin qui l’honorent et le classent à part.
S’il arrête, Murray n’aura pas de regrets, excepté peut-être d’avoir trop «forcé» au second semestre 2016, alors qu’il livrait une terrible bataille à Novak Djokovic pour finir l’année numéro 1 mondial. Mais la retraite sportive est une «petite mort» que l’on espère toujours choisir et retarder au maximum. Se découvrir usé avant ses 30 ans, s’accepter inapte pour le sport de haut niveau, se résoudre à une nouvelle opération «simplement pour mener une vie normale»: que peut-il y avoir de plus intime et de plus violent pour un grand champion?
Pris de spasmes, parcouru de larmes et secoué par une respiration difficile, le corps d’Andy Murray s’est débattu alors que l’on tentait d’en extraire ce qui l’a possédé pendant si longtemps: la passion du tennis. Ce n’était pas une conférence de presse, mais un exorcisme.
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«Mon idée est de m’arrêter en juin à Wimbledon, mais je ne sais pas si je pourrai aller jusque-là»