Loïc Meillard, au-delà du talent
Derrière les performances de celui que le grand Marcel Hirscher voit comme un possible successeur se cache moins un jeune homme touché par la grâce qu’un travailleur acharné. Rencontre avant les épreuves du week-end à Adelboden
Depuis que des choses se disent et s’écrivent au sujet de Loïc Meillard, la même idée revient encore et encore: ce garçon-là est pétri de talent. Tout le monde est d’accord. Ses entraîneurs, ses concurrents, les plus grands spécialistes de la presse internationale. Au début de l’hiver, le roi Marcel Hirscher lui-même a pris le temps de se détourner quelques instants de sa quête d’un huitième grand globe de cristal consécutif pour adouber le «plus grand talent actuel du Cirque blanc» comme un potentiel successeur: «Il me battra bientôt.»
Dans le hall de l’hôtel d’Adelboden où il prépare les épreuves du weekend, l’intéressé se redresse sur sa chaise et sourit. «Bien sûr que cela fait plaisir d’entendre ça.» Puis, très vite: «Cela doit me motiver à continuer de travailler toujours aussi dur.» De cette même phrase, qu’il module à peine, le jeune homme de 22 ans ponctue ses réponses à la plupart des questions. La confiance de ceux qui croient en lui depuis ses premiers virages, l’investissement de ses parents pour qu’il puisse skier au plus haut niveau, la «chance» de pouvoir vivre de sa passion: tout est motif à se lever tôt, à pousser fort, à penser utile. Point de destination finale, rien que des étapes, chacune appelant la prochaine. Tourbillon inédit
Fin décembre, Loïc Meillard a enchaîné ses deux premiers podiums en Coupe du monde en l’espace de vingt-quatre heures sur la neige de Saalbach, en Autriche. Deux deuxièmes places, en géant puis en slalom, synonymes d’un «pur bonheur» dont il n’a pas vraiment profité, emporté dans un tourbillon de sollicitations inédites. Mais lorsque, avec les fêtes de fin d’année, il a trouvé le temps de souffler un peu auprès de ses proches, il a mieux réalisé: «Ces deux podiums me montrent que je suis sur le bon chemin, ils me montrent que cela vaut le coup de souffrir tous les jours à l’entraînement. Cela doit me motiver à continuer de travailler aussi dur.»
«Le travail rend aisé tout ce qui est difficile»: il cite cette phrase, probablement inspirée d’une citation de Benjamin Franklin, qui figurait dans un courrier officiel reçu un jour de l’Etat du Valais, et dont il a fait une sorte de mantra. C’est la première chose que dit de lui sa soeur Mélanie, elle aussi skieuse professionnelle. «Mon frère est très, très travailleur, valide la jeune femme de 20 ans, actuellement blessée. C’est quelqu’un qui se donne les moyens de ses ambitions.»
Toujours le premier
Ces derniers mois, plusieurs de ses camarades d’entraînement nous ont dit que Loïc Meillard était «toujours le premier debout, toujours le premier à la salle de sport, toujours le premier à demander un entraînement supplémentaire»… et toujours avec le sourire. Il se marre. «Disons que je suis quelqu’un d’assez positif. Si je m’entraîne à Saas-Fee et que je dois mettre mon réveil à 4 heures, je suis du genre à penser que c’est super car on aura un beau lever de soleil et qu’il n’y aura personne sur les pistes.»
Voilà la méthode Meillard, celle qui lui a permis de décrocher trois médailles d’or aux Championnats du monde juniors, de classer l’affaire Coupe d’Europe en deux saisons quand d’autres y embourbent leur carrière, puis de s’imposer petit à petit dans le grand chapiteau du Cirque blanc. Quelle est la part de talent là-dedans? Sa soeur, elle aussi souvent décrite comme une petite prodige, hésite. «Ce n’est pas le style de la maison de se vanter. Mais en ce qui me concerne, je dois bien reconnaître que, oui, sur la neige, j’ai un feeling que je ne m’explique pas. Certains virages, je ne sais pas comment je les fais, ils me viennent naturellement.»
«Je pense que nous avons hérité certaines qualités de notre enfance, complète l’aîné de la fratrie. Nous faisions énormément de sport: VTT, grimpe, randonnée, athlétisme. Je sais que l’école de course, par exemple, m’a beaucoup appris au niveau de la vitesse, de la coordination, et lorsque le corps intègre autant de mouvements, il fonctionne de manière plus globale, plus complète. Il devient plus performant.» Transformation physique
Depuis ses débuts en Coupe du monde en janvier 2015, le jeune homme semble s’être transformé physiquement. Ses muscles gonflent son t-shirt, ce qui ne passe pas inaperçu parmi des athlètes pourtant costauds. «Plus jeune, j’étais toujours le plus petit, le plus sec, sourit-il. Aujourd’hui, quand les autres me font remarquer que j’ai de gros bras, je réponds juste que c’est la conséquence de mon entraînement mais pas mon objectif. Ce qui m’intéresse, ce sont mes performances sur la neige.»
Il se voit comme un skieur «bien posé techniquement» et surtout «instinctif». Héritage des innombrables heures passées sur des lattes depuis l’âge de 2 ans. «En famille, on n’allait pas skier seulement quand il faisait beau, mais aussi par mauvais temps, qu’il fasse trop froid ou trop chaud. On faisait de la piste, du hors-piste, des bosses, tout ce qu’il était possible de faire.» L’instinct, ou l’expérience qui tait son nom.
Il y a dans l’avènement au plus haut niveau des enfants Meillard la marque du papa, Jacques, ancien spécialiste de kilomètre lancé et inlassable arpenteur des pentes enneigées. Tous les week-ends d’hiver, la petite famille quittait Neuchâtel pour rejoindre son chalet à Hérémence et skier, skier, et skier encore. Lorsque Loïc fête ses 12 ans, toute la famille déménage pour économiser aux champions en herbe de nombreux allers-retours et ces trajets où, exténués par les heures de glisse, ils s’endormaient en entrant dans la voiture pour ne se réveiller qu’à destination… «Pendant un temps, c’est donc notre papa qui faisait les déplacements pour aller travailler à Neuchâtel», se souvient Mélanie Meillard.
La rigueur valaisanne
Son frère estime, lui, que cet exil en Valais aura été providentiel, et pas seulement parce qu’il le rapprochait des montagnes. L’école s’est révélée «plus stricte, plus exigeante, plus cadrée» qu’à Neuchâtel et le gamin qu’il était y a appris «l’importance de la rigueur». En couple depuis trois ans et demi avec une fille «qui accepte» de ne pas beaucoup le voir pendant l’hiver, il applique aujourd’hui ce princpe dans tous les domaines de sa vie. Depuis quelques années, il s’est par exemple découvert la passion de la photographie. De station en station, il trimballe «trop d’appareils» qu’il apprivoise de manière autodidacte en dévorant des tutoriels.
Avec la neige qui magnifie les superbes paysages de l’Oberland bernois, le photographe amateur aurait de quoi se faire plaisir. Mais c’est surtout le skieur professionnel qui est attendu par le public d’Adelboden. En l’absence de Justin Murisier, blessé, et en attendant qu’un autre prodige, Marco Odermatt, finisse d’éclore au plus haut niveau, Loïc Meillard incarne la meilleure chance de podium helvétique pour le géant de samedi. Et dimanche, il peut aussi jouer les trouble-fêtes en slalom. Quant à battre Marcel Hirscher? «Cela reste un rêve. Ou peutêtre un objectif…» Pour lui, les deux se confondent. Un peu comme travail et talent.
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