Le Temps

En Laponie suédoise, à l’aurore

- FRÉDÉRIC FAUX, KIRUNA (SUÈDE)

C’est la saison des aurores boréales, ces phénomènes atmosphéri­ques qui fascinent les photograph­es… et intriguent les scientifiq­ues

Autour du lac gelé de Jukkasjärv­i, près de la ville de Kiruna, la même scène étrange se rejoue tous les hivers: des groupes de touristes installent leurs appareils photos, pointent les objectifs vers le nord, et attendent les aurores boréales dans la nuit polaire. Ce soir-là, elles apparaisse­nt sous la forme d’un voile blanc au-dessus de l’horizon, qui vire au vert, et se déplace lentement devant la Voie lactée. Et puis, quand la nuit est généreuse, c’est toute la voûte céleste qui pulse de lumières irréelles, se pare de draperies ondulantes saluées par des cris d’exclamatio­n.

Etranges flammes

Pour David Lind, de l’office du tourisme local, «les aurores sont devenues la raison numéro un de voyager en Laponie suédoise». La ruée est identique à Rovaniemi, en Finlande, ou à Tromsø, en Norvège, où des dizaines de tour-opérateurs scrutent le ciel dès le 15 août, quand les nuits commencent à devenir noires, jusqu’au 15 avril.

Ce tourisme de masse qui fait voyager des convois entiers de Japonais ou d’Américains entre 66 et 69 degrés de latitude, où ces phénomènes atmosphéri­ques sont les plus visibles, est relativeme­nt récent. La fascinatio­n des hommes pour les aurores boréales, en revanche, est immémorial­e.

Pour Aristote, ou Sénèque, ce sont bien d’étranges «flammes» qui semblent consumer le ciel. Les aurores terrifient les population­s pendant tout le Moyen Age et le mystère de leur apparition reste complet jusqu’à ce qu’un Français, de Mairant, au XVIIIe siècle, y voie l’influence du soleil.

L’intuition est bonne. Les aurores sont en effet le résultat de la collision entre les particules chargées émises par le soleil et la matière présente dans la haute atmosphère. Accéléré par le champ magnétique terrestre qui l’amène près des pôles, ce vent solaire va heurter des atomes d’oxygène et d’hydrogène qui vont restituer cet excès d’énergie en émettant des lumières riches d’enseigneme­nts.

«Le spectre des aurores est comme l’empreinte des phénomènes physiques et chimiques qui se déroulent là-haut, il apporte beaucoup d’informatio­ns», assure Urban Brandström, de l’IRF, centre de physique spatiale suédois qui s’est installé à Kiruna en 1957 pour étudier les aurores boréales. Contournan­t une réplique de Viking, le premier satellite suédois, le physicien monte sur le toit glissant de l’IRF où sont installées des coupoles abritant des caméras de haute précision ainsi que différents instrument­s de mesure.

L’IRF, qui dispose aussi de stations automatiqu­es réparties dans toute la Laponie, peut ainsi reconstitu­er les aurores en 3D, et se pencher sur l’un des plus beaux défis scientifiq­ues de notre époque. «Les particules émises par le Soleil ne sont ni solides, ni liquides, ni gazeuses. C’est un plasma, un état très particulie­r de la matière où les charges électrique­s se déplacent librement, très difficile à comprendre. Les aurores sont donc une occasion unique d’étudier le comporteme­nt du plasma, qui n’existe pas sur terre – sauf dans les éclairs – mais constitue 99% de notre Univers.»

Aujourd’hui, l’IRF conçoit des détecteurs embarqués dans des sondes et satellites qui orbitent autour de certaines planètes du système solaire telles que Mars. Mais Urban Brandström continue de traquer les aurores, tous les hivers, à l’ancienne. Comment les particules accélèrent-elles jusqu’aux régions polaires? Que cache la géométrie mouvante de leurs formes, que personne ne peut encore expliquer ou modéliser? Des recherches auxquelles les amateurs peuvent aussi participer en alertant les scientifiq­ues, quand de nouvelles couleurs apparaisse­nt dans le ciel.

Nouvelle énigme

En 2015, des Canadiens ont ainsi commencé à photograph­ier un nouveau type d’aurores, sous la forme d’un ruban scintillan­t de couleur violette, éphémère, qu’ils ont baptisé «Steve». Le phénomène est observable à des latitudes bien inférieure­s à la normale et, surtout, il ne semble lié à aucune particule de haute énergie. Ces lueurs proviendra­ient-elles d’un mécanisme encore inconnu dans l’ionosphère? Ou bien comme le pensent les Samis, dernier peuple autochtone d’Europe, ces

guovsahas seraient-elles la manifestat­ion des âmes tourmentée­s d’hommes victimes d’une mort violente? Les aurores, vingtquatr­e siècles après Aristote, n’ont pas encore révélé tous leurs secrets.

«Les aurores sont une occasion unique d’étudier le comporteme­nt du plasma, qui n’existe pas sur terre

– sauf dans les éclairs – mais constitue 99% de notre Univers»

URBAN BRANDSTRÖM, IRF (CENTRE DE PHYSIQUE SPATIALE SUÉDOIS)

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(SAULI KOSKI/NOVAPIX/LEEMAGE) Les aurores proviennen­t de la collision entre les particules chargées émises par le Soleil et la matière présente dans la haute atmosphère.

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