Vingt ans d’une obscurité américaine
Cette saga sombre et exceptionnelle avait commencé par une figure de muse dénudée, et fini par le fondu au noir le plus polémique de la création audiovisuelle. Il y a juste 20 ans, le 10 janvier 1999, HBO lançait Les Soprano, série de mafieux du New Jersey imaginée par un scénariste alors peu connu, David Chase.
Dans la première scène, Tony Soprano était assis dans la salle d’attente de sa future psy, et contemplait une statue. Le 10 juin 2007, le feuilleton s’achevait sur cette scène de restaurant où Tony lève la tête et regarde ce qui pourrait être (son tueur?) – puis, un écran noir de 10 secondes, avant l’ultime générique.
En farfouillant un peu sur YouTube, on trouve un étonnant reportage de CNN après la diffusion du dernier épisode, illustrant le poids considérable que la série avait acquis, bien avant les ulcérations des fans de Lost ou les sidérations des fidèles de Game of Thrones. Les comiques des grands réseaux ricanaient en choeur de cette fin sans conclusion. On maudissait David Chase. Un jeune homme racontait: «A la fin, il y a eu des cris dans tout mon bâtiment…»
Vingt ans plus tard, on mesure à quel point les tribulations violentes des gangsters sont entrées dans notre bagage culturel. Autour du personnage porté par James Gandolfini, brutalement décédé en 2013, avec ses violences et ses crises existentielles, ses magouillages et ses déchirures familiales, la série a bâti un immense récit des Etats-Unis, pétri de ses racines italo-américaines.
Parfaitement circonscrit à son univers, cet écosystème au-delà du péage du New Jersey Turnpike, toujours plus loin de New York, le feuilleton s’est élargi, par son intensité sévère, au pays tout entier. Il ne pourra jamais vieillir. La polémique sur la fin non plus – il s’écrit toujours de nouvelles théories sur le sens du dernier regard, et récemment, les auteurs du
Bureau des légendes ont fait une allusion directe à cette scène dans le final de la saison 4.
De la même manière que Gotlib lançant: «Lorsque, après avoir lu une page d’Idées noires de Franquin, on ferme les yeux, l’obscurité qui suit est encore de Franquin», nous pouvons dire que nous sommes tous, toujours, dans le noir qui suit Les Soprano.