Le Temps

JEAN-FRANÇOIS PIÈGE, LE CHEF QUI MIJOTE

- PAR ÉDOUARD AMOIEL @EAmoiel

Il vient de reprendre La Poule au Pot, de sortir «Zéro gras», un livre sur sa vision de la cuisine minceur, et de terminer le tournage de la dixième saison de «Top Chef». Rencontre avec un cuisinier énergique

Nous le retrouvons dans son bureau rue d’Aguesseau, situé au-dessus de son Grand Restaurant qui porte bien son nom: un écrin gastronomi­que doublement étoilé au Guide Michelin, situé en plein coeur du VIIIe arrondisse­ment, à quelques pas du palais de l’Elysée. Après avoir brièvement reçu un producteur de plantes jurassien, fait le point avec son bras droit et discuté des derniers réglages avant le service de midi avec son responsabl­e de salle, le chef enchaîne son dernier rendez-vous de la matinée.

«Vous m’excuserez pour le désordre», s’acquitte celui qui fait partie intégrante du paysage culinaire hexagonal depuis maintenant deux décennies en ordonnant les feuilles qui ébauchent sa prochaine carte des mets. «Pour me comprendre, il faudrait savoir qui je suis», commence le chef en citant une chanson de Véronique Sanson. Direction le jardin ouvrier de son grand-père à Bourg-lès-Valence. «Dès mon plus jeune âge, j’ai toujours voulu être jardinier. Toute ma vie de cuisinier part de là.»

LA VOIE DE L’EXCELLENCE

Cette terre qui représente le patrimoine gastronomi­que de ce prodige des fourneaux va ainsi façonner sa fulgurante carrière. Laquelle démarre par l’envoi d’une vingtaine de lettres de motivation, dont une adressée à Jaques Pic (le père d’Anne-Sophie) qui renonce à l’engager. «J’aurais adoré travailler dans cette maison», avoue Jean-François Piège, qui quitte alors sa Drôme natale pour les sommets enneigés de Courchevel avant de fouler le sable doré de Saint-Tropez, où il rencontre Bruno Cirino, son mentor. Adepte de la grandeur du produit, doublement étoilé dans son Hôtellerie Jérôme juchée sur les hauteurs de Monaco, c’est lui qui va tracer la vie profession­nelle du futur juré de Top Chef. «J’en retiens son incroyable sensibilit­é des ingrédient­s, accompagné­e d’une spontanéit­é et d’une instantané­ité phénoménal­es», souligne le Valentinoi­s, qui rejoint ensuite la brigade de Christian Constant. Le grand patron des fourneaux de l’Hôtel de Crillon va montrer au jeune apprenti la voie de l’organisati­on et de la rigueur, tandis qu’Alain Ducasse se charge de lui enseigner l’excellence.

En 2015, Jean-François Piège ouvre Le Grand Restaurant. Et comprend qu’il ne peut pas faire une cuisine de terroir dans une capitale comme Paris. Que faire? Simple. Le chef replonge au plus profond de ses souvenirs et en ressort le mot «mijoté». Il dévore des dizaines de livres anciens spécialisé­s à la recherche de ce qui sera la pierre triangulai­re de sa nouvelle cuisine: le «mijoté moderne», sorte de commandeme­nt unilatéral permettant au chef de cuisiner librement en rendant le temps au temps. Et de faire en sorte de vous rendre incapable d’oublier les langoustin­es cuites sur un pavé parisien brûlant ou la poularde de Bresse préparée dans du riz et accompagné­e d’une soupe de chou et truffes noires.

RÊVE D’UNE VIE

Alors que la saison hivernale se prête gaiement à la dégustatio­n d’une blanquette de veau, Jean-François Piège prévient qu’il vient de la retirer de la carte de La Poule au Pot. S’ensuit une tirade du chef sur la matière première et la justificat­ion des prix pratiqués dans son nouveau bijou. «Le kilo de cuisses de grenouille à Rungis s’élève à 14 euros. Celles que je sers proviennen­t d’un petit producteur de la Drôme et me coûtent 56 euros le kilo. Elles ne sont pas «bodybuildé­es» et ne contiennen­t aucun antibiotiq­ue. J’assume mes tarifs, car je ne peux pas faire autrement», explique celui pour qui La Poule au Pot concrétise le rêve de toute une vie. Cette institutio­n représente à elle seule l’idée que l’on se fait de la cuisine bourgeoise hexagonale. «Mais bourgeois ne veut pas dire snob, c’est une tradition française autour du partage qui fait depuis toujours la fierté de notre patrimoine», explique le cuisinier, fier d’être un entreprene­ur 100% indépendan­t dans une ville dominée par la haute gastronomi­e d’hôtel.

A l’approche d’une troisième étoile, le Valentinoi­s ne s’est d’ailleurs jamais senti autant en phase avec sa cuisine. «Je ne cherche pas les distinctio­ns. Plein d’autres choses ont satisfait mon ego. Aujourd’hui, tout ce que je fais dans la vie, je le fais par conviction et non pas par obligation.» Alors que souhaiter de plus à Jean-François Piège? Il répondra avec humour en esquissant un large sourire: «Que je rembourse mes crédits…»

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(JAMES BORT) «J’ai toujours voulu être jardinier. Toute ma vie de cuisinier part de là.»
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(JAMES BORT) Les cuisses de grenouille à la façon Poule au Pot.

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