MARIE HOURIET, LE SENS DU CONTRAT SOL
En chroniquant une relation père-fille dans la Genève alternative, la romancière romande rappelle la force du combat citoyen qui a animé la Cité de Calvin dans les années 1970 et 1980
Marie Houriet se soucie du contrat social et du pacte citoyen. Pour elle, ou, en tout cas, pour les personnages de son troisième roman, Des jours meilleurs, une vie sans engagement ne vaut pas la peine d’être vécue. On sent cette flamme à chaque page de cette chronique genevoise qui navigue entre réalité et fiction. Et cette foi vibrante dans un monde régulé par un diapason humain emporte le lecteur, lui faisant oublier les quelques maladresses et naïvetés – notamment la fin – qui émaillent ce récit familial.
Pas la peine de chercher. Genève n’a jamais connu une communauté autogérée sur la presqu’île de la Jonction. Mais Marie Houriet, qui a vécu à Fribourg et dans la Cité de Calvin avant de s’installer dans le Jura, raconte si bien cet îlot alternatif né fin des années 1970 dans les anciens dépôts TPG, qu’on le visualise sans difficulté. Des bus comme habitats. L’école à la maison. Les enfants en liberté. Les parents embarqués dans des réunions enfumées qui n’en finissent pas. Et bien sûr, de la musique, du théâtre, des arts plastiques, comme s’il en pleuvait. Il fait froid, l’hiver, suffoquant, l’été, mais le lieu aimante les révolutionnaires loin à la ronde. JeanLouis et Lili font partie des pionniers de ce monde meilleur. Leurs filles, Juliette et Raphaëlle, sont des héritières qui surfent, légères, sur les mêmes valeurs.
DUR RETOUR SUR TERRE
Sauf que les temps changent et le retour sur terre, à la fin de l’épopée, marque le début d’une nouvelle ère. A la fois plus confortable et plus dure, plus individualiste. Au début du roman, qui commence vingt-cinq ans après les jours exaltants de l’utopie, Marie
Houriet a cette belle idée, peutêtre inspirée des séries. Alterner les passages de récit et les témoignages de deux des protagonistes, Jean-Louis et sa fille Raphaëlle, qui donnent leur prénom à chaque chapitre où ils confient leur vision. C’est un joli procédé qui permet d’avancer entre le coeur et la raison. Et, plus tard, on comprend pourquoi le focus est mis sur ces deux-là…
Père et fille ne sont pas seuls à soliloquer dans cette première partie parfaitement tendue. Linda, une Américaine des années 2000 qui a cru au rêve de la propriété, dit aussi ses joies et, très vite, ses peines. A travers cette mère de famille qui élève seule son garçon, l’auteure donne un visage au scandale des subprimes. Et enflamme la mèche d’une bombe symbolique qui explosera au final dans le bien connu Bâtiment des Forces motrices genevois.
L’IMAGE CRÉE LE MOT
Le style de Marie Houriet? Simple, narratif, sans préciosité aucune, ni volonté d’innover. C’est l’image qui dicte le mot et non l’inverse. Un parti si modeste qu’il déroute parfois. Mais, très vite, l’histoire l’emporte et l’affection pour les personnages compense un certain effet vintage, pour ne pas dire daté. On s’attache à la famille révolutionnaire, comme on s’attache à Yvan, la pièce rapportée, époux de Raphaëlle, qui vient aussi d’un milieu populaire, mais à l’univers plus étriqué. Le poignant portrait de sa mère, Danièle, obsédée par la propreté, est spécialement éloquent.
Des jours meilleurs a encore ce talent: éviter le piège de l’amertume en donnant à la désillusion contemporaine un épilogue aussi improbable que farceur. Ce plan étonnant dilue l’intensité qui étreint le milieu du roman, mais le côté pieds nickelés de l’entreprise a aussi son charme. Marie Houriet ne veut pas se coucher devant le cynisme de l’argent. Elle mène son combat avec une belle ferveur et le coeur content.