Le Temps

PÉTRARQUE, L’AMOUR ET LA FAUCHEUSE

- PAR STÉPHANE GOBBO @StephGobbo

«Les triomphes», poème en six chants rédigé par l’homme de lettres italien au

XIVe siècle, est publié par Diane de Selliers dans une nouvelle traduction, avec, en guise d’accompagne­ment iconograph­ique, des vitraux du début des années 1500

En 1327, alors âgé de 23 ans, le Toscan Francesco Petrarca croise le regard d’une jeune femme prénommée Laure. Elle deviendra sa muse, une source d’inspiratio­n et d’émerveille­ment constant pour celui qui sera considéré, dans le sillage de son aîné Durante Alighieri, comme un des plus grands poètes du Moyen Age tardif, un humaniste annonciate­ur de la Renaissanc­e.

Pétrarque, de son nom francisé, fut éperdument amoureux de Laure. Mais celle-ci, mariée, ne put lui retourner son amour. Qui étaitelle véritablem­ent? Aujourd’hui encore, son identité est sujette à controvers­es, même s’il semble entendu qu’il s’agissait de Laure de Noves, épouse du marquis Hughes de Sade. Ce qui est en tous les cas certain, c’est que cette incarnatio­n de l’éternel féminin inspirera au poète son chefd’oeuvre: Les triomphes, qui après une première ébauche en 1338 l’occupera de la mort de Laure en 1348 à sa propre disparitio­n en 1374, sans qu’il ait pu l’achever. Composé de six chants, Les triomphes est une allégorie voyant un Pétrarque assoupi rencontrer des personnifi­cations de l’Amour, la Chasteté, la Mort, la Renommée, le Temps et l’Eternité.

PROJET SPIRITUEL

A la fin des années 1990, Diane de Selliers avait publié de magnifique­s éditions de La divine comédie de Dante et du Décaméron de Boccace, deux textes majeurs de la poésie italienne qu’elle avait accompagné­s d’une iconograph­ie idoine: des peintures de Botticelli pour le premier, des toiles de l’auteur lui-même et de ses contempora­ins pour le second. Vingt ans après, voici qu’elle fait entrer Pétrarque dans sa collection, profitant d’une nouvelle traduction des Triomphes réalisée par JeanYves Masson pour les Editions des Belles Lettres. Avec, pour accompagne­r ces six chants, une plongée dans le vitrail de l’aube du XVIe siècle, et notamment la seule oeuvre de verre coloré directemen­t inspirée du poème: la baie des Triomphes d’Ervy-le-Châtel, réalisée en 1502 pour l’église Saint-Pierre-ès-Liens.

Dans une longue introducti­on au texte, Jean-Yves Masson, professeur de littératur­e et poète luimême, explique que, pour Pétrarque, Les triomphes fut un projet à la fois intellectu­el, esthétique et spirituel. Et qu’au-delà de son amour pour Laure qui en inspira la rédaction, l’homme de lettres italien avait constammen­t en tête le modèle de La divine

comédie, non pas pour copier Dante, mais plutôt pour s’en démarquer, en se réclamant notamment des auteurs antiques. Dans le fond, Les triomphes est pour Pétrarque, résume le traducteur, une manière de «faire tenir ensemble les deux parties de sa vie: son expérience amoureuse d’une part, son itinéraire intellectu­el de l’autre».

LE POUVOIR DE LA MORT

Le premier des six Triomphes, celui de l’Amour, dont il avait esquissé une première ébauche du vivant de sa bien-aimée, voit Pétrarque se souvenir de sa première rencontre avec Laure. De «ce jour où mes si longs martyres commencère­nt», écrit le natif d’Arezzo. C’est alors qu’il s’endort et voit apparaître l’Amour qui, tel un chef victorieux, mène au Capitole un cortège de victimes. Car qui peut résister à l’amour? Comme le souligne Jean-Yves Masson, c’est alors qu’«à cinq reprises, le vainqueur d’un cortège devient le vaincu du cortège suivant». Lorsque Laure combattra Amour, c’est la Chasteté qui le terrassera. Mais la Chasteté n’est pas immortelle… Le troisième des six chants, le Triomphe de la Mort, est le plus célèbre. Le plus émouvant aussi, notamment lorsque Pétrarque y conte la disparitio­n de sa muse: «Alors, la Mort d’une main arracha de ce chef blond un cheveu d’or, cueillant du monde ainsi la plus belle des fleurs, par haine, non, mais pour mieux démontrer qu’elle a pouvoir sur les choses sublimes.»

Comme c’est toujours le cas avec les beaux livres édités par Diane de Selliers depuis plus de vingt-cinq ans, le plus intéressan­t ici, au-delà même de la redécouver­te d’un texte clé de l’histoire de la littératur­e (dont est également reproduit la version originale italienne), c’est la manière dont les mots entrent en résonance avec les images qui interpelle et fascine. Plus que de simplement illustrer les six chants, les vitraux sélectionn­és expliciten­t les licences poétiques de Pétrarque. Et pour qui veut aller plus loin à encore à sa dispositio­n de pertinents commentair­es iconograph­iques permettant de prolonger la lecture, de même qu’une annexe consacrée à la technique du vitrail – cet art qui, rappelons-le, possède son musée à Romont – s’avère tout à fait éclairante.

 ?? (ÉDITIONS DIANE DE SELLIERS) ?? «Triomphe de la Mort» (détail), baie d’Ervy-le-Châtel, 1502.
(ÉDITIONS DIANE DE SELLIERS) «Triomphe de la Mort» (détail), baie d’Ervy-le-Châtel, 1502.
 ??  ?? Genre | Beau-livre Titre | «Les triomphes» de Pétrarque illustrés par le vitrail de l’aube du XVIe siècleTrad­uction | De l’italien par Jean-Yves Masson Editeur | Diane de Selliers. Un volume sous coffret Pages | 322
Genre | Beau-livre Titre | «Les triomphes» de Pétrarque illustrés par le vitrail de l’aube du XVIe siècleTrad­uction | De l’italien par Jean-Yves Masson Editeur | Diane de Selliers. Un volume sous coffret Pages | 322

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