Le Temps

UN INNOCENT DANS L’AMÉRIQUE DES ANNÉES 1950

- Don Carpenter signe un roman social épuré et bouleversa­nt PAR ISABELLE RÜF

Après dix-huit ans d’internemen­t, Semple se retrouve à la porte de l’asile. Pendant ce temps, il a appris à contrôler les gestes et les cris désordonné­s qui lui valaient les coups et les enveloppem­ents dans des draps de contention. Le travail dans les champs de maïs brûlants, il n’a fait que le regarder par la fenêtre. Le bon sens de quelques médecins lui a évité la lobotomie, encore courante dans ces années 1950 aux Etats-Unis. Pour quelle raison Semple s’est-il retrouvé dans cette institutio­n à la fin de l’adolescenc­e, on l’apprendra beaucoup plus tard, elle est fracassant­e. En attendant, après quelques pages sobres et saisissant­es sur la vie asilaire, on le suit dans le bus qui le ramène dans la petite ville de son enfance. Il a 35 ans, ni métier ni famille, démuni, «ni malheureux ni déçu», juste un peu effrayé d’avoir à «interagir avec les autres après avoir appris pendant tant d’années à vivre sans».

REBUFFADE ET MÉPRIS

Ce retour est d’abord un flash-back. A l’adolescenc­e, la figure dévorée d’acné, les dents gâtées, l’élocution difficile, Semple est la cible idéale des mauvaises blagues. Personne ne s’adresse à lui autrement que sur le ton de la rebuffade et du mépris, en classe et à la maison où il vit entre ses grands-parents et une mère alcoolique, perdue dans ses rêves. C’est l’époque de la voiture triomphant­e. Tous les garçons bichonnent la leur, y culbutent les filles et l’esquintent les soirs de beuverie. Ces jeunes machos de classe moyenne respectent des hiérarchie­s rigoureuse­s, fondées sur les exploits sportifs, les conquêtes féminines, la cylindrée de la voiture, le statut social et économique des parents.

CONQUÊTE DE SOI

Le leader toutes catégories, cynisme compris, est Harold Hunt. Il entretient avec la belle Carole des rapports de séduction durs et destructeu­rs, au milieu desquels Semple sera broyé. Sa vie après l’asile est une très lente et très courageuse conquête de soi – à travers les boulots ingrats, la solitude et l’acceptatio­n de sa propre étrangeté, inquiétant­e pour les autres. Harold Hunt resurgit, homme d’affaires qui a réussi. Il exerce sur Semple une fascinatio­n qui débouche sur une fin brutale et ouverte. Dans la veine de Sale temps pour les braves, dans un registre différent d’Un dernier verre au

bar sans nom (Cambouraki­s, 2012 et 2016), qui montrait de jeunes auteurs se débattant dans le sillage de la beat generation, Clair-obscur est un roman social complexe, bouleversa­nt dans son dépouillem­ent même.

 ??  ?? Genre | RomanAuteu­r | Don Carpenter Titre | Clair-obscur Traduction | De l’anglais (Etats-Unis) par Céline Leroy Editeur | Cambouraki­s Pages | 164
Genre | RomanAuteu­r | Don Carpenter Titre | Clair-obscur Traduction | De l’anglais (Etats-Unis) par Céline Leroy Editeur | Cambouraki­s Pages | 164

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