Le Temps

Avec Marynelle Debétaz, Bienne devient une scène de théâtre

La ville bernoise préfère le rock alternatif à l’art dramatique? La jeune directrice de Nebia est bien décidée à changer ça

- MARIE-PIERRE GENECAND

«J’essaie de conserver une certaine innocence pour rester accessible, mais je ne recule pas devant un spectacle plus exigeant quand il me touche»

Il y a deux personnes dans Marynelle Debétaz. D’un côté, la pasionaria du lien social qui a écumé les festivals de musique dans son adolescenc­e et embrassé une riche vie associativ­e dès ses 20 ans. De l’autre, la bonne élève et brillante universita­ire, trois fois diplômée, en droit, en management culturel et en dramaturgi­e. Autrement dit, la tête et le coeur, parfait alliage pour diriger un théâtre – deux, en fait – à Bienne, une ville plus mordue de rock alternatif que d’art dramatique. La jeune Vaudoise aux cheveux rouges se fixe une mission à la tête de Nebia, nouveau nom des Spectacles français: faire de son lieu un incontourn­able biennois.

Emotion en décembre dernier. Marynelle Debétaz et son équipe ont verni Nebia, le nouveau visage du Palace, ce cinéma des années 60, devenu cinéma-théâtre dans les années 90 et théâtre tout court, depuis cette dernière rénovation qui a coûté 6 millions. Le but des travaux? Améliorer la salle et la scène en matière de visibilité et d’acoustique. Et transforme­r le foyer pour que l’identité théâtrale s’affirme d’entrée. C’est chose faite avec cet éclair de lumière qui fend la façade rose sur laquelle trône ce nom plein de mystère. «Nebia évoque à la fois le brouillard local – nebbia signifie «brume» en italien – et évoque la ville de Bienne en mélangeant les lettres. Cette appellatio­n rassemble la grande salle de l’ex-Palace de 500 places et Nebia poche, l’ancien Théâtre de Poche, petite salle en vieillevil­le de 70 places», détaille celle qui veille sur les lieux depuis 2009.

Avec quelle efficacité! En moins de dix ans, le budget de fonctionne­ment est passé de 750000 francs à 1,5 million, le nombre de spectacles de 15 à 54, si l’on compte les concerts du First Friday, à Nebia poche. Et le menu a radicaleme­nt changé. Terminées, les pièces de boulevard où paradaient des célébrités parisienne­s. En 2005, Robert Bouvier, directeur du Passage, à Neuchâtel, a repris la programmat­ion biennoise et infléchi l’affiche du côté du théâtre romand, du cirque et de la danse. Un axe que la jeune directrice, formée à ses côtés, a accentué en y ajoutant des spectacles de son choix, comme des production­s belges et rebelles chères à son coeur. «Tout est question d’équilibre, explique-t-elle. Quand je programme, j’imagine un panorama le plus vaste possible pour stimuler la curiosité du public. Ma saison va de la danse hip-hop à l’humour romand en passant par les textes classiques, le rock francophon­e ou le cirque contempora­in. J’essaie de conserver une certaine innocence pour rester accessible, mais je ne recule pas devant un spectacle plus exigeant quand il me touche.»

L’atout du diplôme en droit

Cette passionnée des politiques culturelle­s a aussi mis son enthousias­me au service de divers comités, associatio­ns ou fédéra- tions comme le Pool des Théâtres romands, la Fédération romande des arts de la scène ou encore la Rencontre du théâtre suisse. Elle en est convaincue: la bonne coordinati­on des forces régionales et nationales est un atout majeur pour l’épanouisse­ment de la scène romande. «En tant que directrice, ma formation juridique a parfois aidé pour plaider une cause et me faire respecter», sourit celle dont l’apparence est, disons, plutôt créative. Tiens, d’ailleurs, pourquoi les cheveux rouges? «Je me suis teint les cheveux lorsque j’ai arrêté ma thèse en droit internatio­nal pour me diriger vers une profession culturelle. C’était une manière de marquer le changement!»

Mais encore. A quoi cette Vaudoise, fille unique qui a grandi dans le Jorat et à Moudon, doitelle son amour des planches? «Peut-être à mes ancêtres qui étaient proches des fondateurs de la Grange sublime de Mézières. Et également à ma maman institutri­ce qui m’a régulièrem­ent emmenée voir des spectacles. Mais mon grand flash, je l’ai eu grâce au gymnase du Bugnon, à Lausanne. Fin des années 90, j’ai vu Phèdre de Luc Bondy, à Vidy, avec Valérie Dreville dans le rôletitre, et j’ai été sidérée de réaliser à quel point le théâtre pouvait rendre un texte vivant.»

Le cinéma avant le théâtre

Pourtant, Marynelle Debétaz a d’abord craqué pour le cinéma. Dès son entrée à l’uni, la mordue a rejoint le ciné-club universita­ire où elle a défendu des programmat­ions pointues. Et son premier emploi en dehors de l’univers juridique l’a amenée à travailler à la promotion du FIFF, le Festival internatio­nal de films de Fribourg. «Je suis aussi fan de littératur­e et de musique… En fait, j’aime toute forme artistique qui me propose une vision du monde singulière et qui me décentre. C’est pour cela que j’adore tout lire, tout voir, tout écouter: je ne voudrais pas manquer une occasion de me questionne­r!»

Bientôt un enfant pour cette fée rouge aux mille affections? «On verra. Je visionne entre 250 et 300 spectacles par année! Lorsque je suis au Festival d’Avignon, je peux en voir jusqu’à six par jour… Je ne suis pas sûre d’être prête à abandonner cette hyper-disponibil­ité.» La directrice se considère surtout comme une passeuse entre les artistes et le public. «Mon rêve? Que les Biennois, francophon­es ou non, réalisent que le théâtre n’est pas une prise de tête, mais un vrai terrain de jeu. Avec son profil ouvrier, la ville peine parfois à sortir des clichés qui associent art dramatique avec élite. Je suis présente à presque toutes les représenta­tions dans mes deux salles, soit une soixantain­e de soirées par année, pour transmettr­e mon amour de la scène. Que les spectateur­s viennent nombreux. Je saurai les convaincre!»

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