Le Temps

«La recherche a besoin de stabilité»

Le Romand Joël Mesot dirige depuis début janvier l’Ecole polytechni­que fédérale de Zurich, alors que la participat­ion de la Suisse à la recherche européenne reste précaire

- PROPOS RECUEILLIS PAR NICOLAS DUFOUR, MATHILDE FARINE, CÉLINE ZÜND @NicoDufour, @MathildeFa­rine, @celinezund

Au 1er janvier, Joël Mesot a pris les rênes de l’Ecole polytechni­que fédérale de Zurich (EPFZ). Né à Genève, ce physicien hérite d’une institutio­n extrêmemen­t bien classée dans les différents rankings académique­s, mais qui a récemment traversé une période de turbulence­s – plusieurs cas de mobbing ont défrayé la chronique ces derniers mois. Le Temps l’a rencontré.

Le physicien Joël Mesot a pris la présidence de l’Ecole polytechni­que fédérale de Zurich (EPFZ) le 1er janvier. Originaire de Fribourg, ce natif de Genève a dirigé durant dix ans l’Institut Paul Scherrer (PSI) et enseigné à l’EPFL et à l’EPFZ. Dans son nouveau rôle, il aura à relever plusieurs défis: avenir incertain des relations entre la Suisse et l’Union européenne et ses conséquenc­es sur la recherche, concurrenc­e entre les EPF en Suisse et à l’internatio­nal, turbulence­s internes comme l’ont montré plusieurs accusation­s de mobbing visant des professeur­s et, bien évidemment, recherche constante des meilleures places dans les classement­s mondiaux.

Un Romand à la tête de l’EPFZ, qu’est ce que ça va changer?

J’ai 54 ans et j’ai passé dix-huit ans en Suisse romande. Je me sens donc plus Suisse que Romand. Mais je comprends les deux cultures, ça aide à créer des ponts. Les liens sont déjà très forts avec la Suisse romande et nous allons encore les développer. On a déjà commencé à en parler avec le président de l’EPFL, Martin Vetterli.

Comment décririez-vous votre style de management?

Je crois en la collaborat­ion, je délègue et je ne fais pas de micro-management. On dit de moi que je suis généreux: je fais attention à donner à chacun l’opportunit­é de se développer.

Votre prédécesse­ur n’a réalisé qu’un mandat. C’est rare dans les EPF. La période a été agitée, avec diverses affaires de mobbing. Un quart de vos doctorants disent avoir subi des abus de pouvoir de la part d’un supérieur. Y a-t-il un climat de confiance à rétablir dans la maison?

Il est important de protéger tous nos employés, pas seulement les doctorants, aussi les professeur­s et le personnel administra­tif. C’est un sujet qui nous préoccupe, mais beaucoup a déjà été réalisé sous mon prédécesse­ur. Je suis toujours en train de découvrir l’EPFZ et je ne peux en dire beaucoup plus pour l’instant, sauf qu’une institutio­n comme elle est constammen­t en train de se renouveler.

Dans quel sens doit aller le changement? Est-ce la culture de l’institutio­n qu’il faut revoir?

Dans mon discours d’arrivée, j’ai comparé l’EPFZ avec l’organisati­on de la Suisse. Les instituts sont comme les communes et les départemen­ts comme les cantons. Cette forme de subsidiari­té est très importante à mes yeux.

Faut-il modifier le statut des professeur­s? Ont-ils trop de pouvoir?

Nous devrons mieux soutenir les professeur­s, surtout les jeunes, qui n’ont pas beaucoup d’expérience de leadership. J’aimerais qu’ils suivent tous des cours de gestion du personnel. Ils obtiennent des bourses du European Research Council (ERC), des sommes du Fonds national, des projets avec des entreprise­s et se retrouvent propulsés à la tête de groupes relativeme­nt grands. Mais la question du statut est délicate. L’assurance pour les professeur­s d’avoir un job quasi permanent est très importante pour la recherche à long terme. Cela leur permet de prendre des risques dans leurs travaux. Et dans un pays comme la Suisse, qui n’a que la recherche comme ressource, ces conditions doivent être maintenues.

La proportion de professeur­es reste faible. Comptez-vous y remédier?

Augmenter le nombre de professeur­es est une priorité. La concurrenc­e est forte, les chercheuse­s sont sollicitée­s par toutes les université­s, qui ont toutes des programmes pour les attirer. Il ne faut pas seulement miser sur les moyens financiers, mais aussi sur d’autres formes de soutien, comme le service «Dual carreer» que l’on peut encore développer.

C’est une priorité depuis dixquinze ans. Or, il existe actuelleme­nt 15% de postes de professeur­es. Que peut-on faire?

Promouvoir les personnes à l’interne, en passant par exemple par des «tenure track» [des formes de nomination­s permanente­s].

Pourquoi est-ce important à vos yeux?

C’est une question de ressources! Le recrutemen­t devient de plus en plus difficile et compétitif. Ignorer 50% de la population n’a pas de sens. En outre, une école a intérêt à favoriser la diversité, qui n’est d’ailleurs pas qu’une affaire de femmes. Quand j’étudiais à l’EPFZ, on était de nombreux Romands. Ce pourcentag­e a chuté en trente ans, signe du succès de l’EPFL. Mais c’est mauvais pour la cohésion nationale. Nous prenons notre rôle d’institutio­n nationale au sérieux et nous allons essayer avec Martin Vetterli de mettre des bourses en place pour favoriser les échanges entre la Suisse romande et la Suisse alémanique. Autre source de souci: le nombre de personnes qui viennent de milieux non universita­ires a baissé. Il faut casser ces plafonds de verre.

Vous venez d’arriver, Martin Vetterli est là depuis un an, la secrétaire d’Etat vient de commencer en janvier. La présidence du conseil des EPF va changer. Et le conseiller fédéral concerné change aussi. Est-ce l’occasion de rebattre les cartes?

Notre sortie du programme européen de recherche Horizon 2020, décidée en 2014, a été un choc pour nous tous. Nous avons alors reçu un soutien très fort du Conseil fédéral et du secrétaire d’Etat, ce qui a été essentiel pour notre réintégrat­ion. J’espère que cet appui se perpétuera à l’avenir. Pour la Suisse, il n’y a pas d’autre voie que de développer l’éducation et la recherche. A tous les niveaux.

En même temps, vous êtes sous la tutelle d’un ministre, Guy Parmelin, membre d’un parti qui critique constammen­t les budgets de la formation supérieure…

Il ne critique pas la formation.

Mais l’UDC conteste les montants.

Je n’ai pas encore rencontré Monsieur Parmelin en tant que ministre de tutelle. Il s’est beaucoup engagé dans le domaine numérique et dans la cybersécur­ité. Je suis sûr qu’il continuera.

Les tensions entre la Suisse et l’UE vont vous préoccuper ces prochains temps…

Oui, nous nous faisons beaucoup de soucis pour la recherche. Nous percevons des signes inquiétant­s. Certains accords devraient être signés mais sont suspendus. Les instances européenne­s attendent de voir comment la situation évolue. Si la Suisse se trouvait à nouveau déconnecté­e des réseaux de recherche européens ou des fonds sur concours du European Research Council (ERC), ce serait un désastre. La recherche se fait de plus en plus par les réseaux. Un exemple: l’informatiq­ue quantique. A l’EPFZ, nous avons de nombreuses compétence­s en la matière. Mais sans réseau européen, au vu de la complexité de la matière, nous ne pouvons plus rien faire. Les meilleurs chercheurs viennent aussi en Suisse parce qu’ils peuvent concourir pour les bourses ERC.

Faut-il craindre une nouvelle crise, comme en 2014 suite au vote sur l’initiative «Contre l’immigratio­n de masse» et aux mesures de rétorsion de l’UE ?

Des chercheurs suisses avaient perdu la main sur des programmes qu’ils pilotaient jusqu’alors. Ce que nous entendons souvent en ce moment de la part de nos collègues européens, c’est: «Nous vous avons aidés à revenir, mais il ne faudrait pas que cela se passe encore une fois…»

Bien d’autres pays investisse­nt dans la recherche en Asie notamment – et l’EPFZ est présente à Singapour. Ne pourriez-vous pas compenser l’affaibliss­ement européen en cherchant ailleurs des collaborat­ions?

Il y a déjà de nombreux partenaria­ts avec l’Asie. Songez à l’accord de la Suisse avec la Chine. Mais ce ne sont pas les mêmes enjeux. Imaginez que l’on dise à l’industrie: vous arrêtez de commercer avec l’Europe. Ce n’est pas pensable. L’UE reste notre premier partenaire. N’oubliez pas que la recherche se joue sur le long terme: au moins vingt ans. Si nous perdons de l’attractivi­té aujourd’hui, nous en paierons la facture dans 20 ans. La Suisse investit énormément dans la recherche, mais le nombre d’étudiants a évolué deux fois plus vite que les budgets. Il faudrait songer à des ajustement­s.

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(DOMINIC BÜTTNER POUR LE TEMPS) Joël Mesot: «Une école a intérêt à favoriser la diversité.»

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