Emmanuel Macron écrit aux Français: «Votre impatience, je la partage»
Le président a, comme promis, adressé dimanche soir une longue lettre à ses concitoyens. Une explication détaillée de ses engagements, pas du tout assurée de calmer la colère des «gilets jaunes»
Après François Mitterrand en 1988 et Nicolas Sarkozy en 2012, Emmanuel Macron s’adresse à ses concitoyens par écrit
Le contenu de cette lettre a été finalisé dimanche après-midi. Maniant à la fois l’ouverture et la fermeté, le texte ne devrait pourtant pas calmer la colère des «gilets jaunes».
Le président français rappelle tout d’abord ce qui constitue, à ses yeux, la spécificité française, «La France n’est pas un pays comme les autres, écrit-il en entame. Le sens des injustices y est plus vif qu’ailleurs. L’exigence d’entraide et de solidarité plus forte.» Emmanuel Macron en vient ensuite à la colère qui s’exprime maintenant depuis neuf semaines dans les rues: «Je sais bien sûr que certains d’entre nous sont insa- tisfaits ou en colère. […] Tous voudraient une société plus juste et plus prospère. Cette impatience, je la partage.»
Après un ferme rejet de la violence, il se concentre sur l’enjeu principal du texte: convaincre les Français de participer au grand débat national qui s’ouvre aujourd’hui et doit se poursuivre jusqu’au 15 mars.
Les maires de France sont présentés comme étant les «intermédiaires légitimes de l’expression des citoyens». Dans les mairies, sur internet, le président français appelle à une vaste prise de parole qui doit permettre selon lui «d’inventer un projet productif, social, éducatif, environnemental et européen nouveau, plus juste et plus efficace».
A situation d’exception, réponse exceptionnelle: la longue «lettre aux Français» qu’Emmanuel Macron avait promis d’adresser à ses concitoyens avant l’ouverture, mardi, du «grand débat national» fait le pari osé d’une mise à plat généralisée des problèmes que rencontre la France. Impossible, dès lors, pour ce jeune président féru de littérature et d’écriture, d’adresser un message resserré à ses concitoyens: c’est une missive de six pages, centrée sur l’explication du modèle français et sur la nécessité de le réformer que le chef de l’Etat toujours aussi contesté dans la rue a choisi de rédiger. En réveillant au passage deux autres souvenirs présidentiels: celui de la lettre adressée par François Mitterrand à ses électeurs en avril 1988, à l’orée de sa réélection pour un second septennat, et celui du courrier de 34 pages programmatiques que Nicolas Sarkozy, alors candidat, avait diffusé en 2012, avant d’accéder à l’Elysée.
Le style est, sans surprise, celui du professeur résolu à valoriser l’objet de son étude. «La France n’est pas un pays comme les autres. Le sens des injustices y est plus vif qu’ailleurs. L’exigence d’entraide et de solidarité plus forte», entame le président de la République, qui sait combien le sentiment d’inégalités et la paupérisation ressentie par les classes moyennes et populaires attisent les braises des «gilets jaunes». Le constat dressé reprend d’ailleurs largement les revendications de ces derniers, encore exprimées ce samedi à Bourges, la cité berrichonne où près de 6000 manifestants s’étaient rassemblés pour le neuvième acte de la mobilisation commencée le 17 novembre: «Je sais, bien sûr, que certains d’entre nous sont aujourd’hui insatisfaits ou en colère. Parce que les impôts sont pour eux trop élevés, les services publics trop éloignés, parce que les salaires sont trop faibles pour que certains puissent vivre dignement du fruit de leur travail, parce que notre pays n’offre pas les mêmes chances de réussir selon le lieu ou la famille d’où l’on vient», écrit Emmanuel Macron, alors que le mouvement semble prêt à repartir avec près de 80000 personnes dans les rues de l’Hexagone ce week-end, contre 50000 le samedi précédent.
Pas de surprise, non plus, sur l’avertissement en matière d’ordre public. Le chef de l’Etat répète largement ses propos télévisés: «Je n’accepte pas, et n’ai pas le droit d’accepter la pression et l’insulte, par exemple sur les élus du peuple, poursuit-il, alors que plusieurs élus du parti présidentiel ont fait face à des menaces. Je n’accepte pas et n’ai pas le droit d’accepter la mise en accusation générale, par exemple des médias, des journalistes, des institutions et des fonctionnaires. Si tout le monde agresse tout le monde, la société se défait!»
Le coeur de la lettre n’est pas dans ces rappels. Il est dans la manière dont Emmanuel Macron, accusé d’être le président des riches, défend le «grand débat» qui va venir. Première confirmation: le rôle des maires sera décisif, ce qui ne facilitera pas la tâche de ces derniers, souvent débordés par la base. Le président souligne leur «rôle essentiel» car «ils sont vos élus et donc l’intermédiaire légitime de l’expression des citoyens». Manière, au passage, de reléguer au second plan les députés majoritaires de la «République en Marche»…
Une boîte ouverte
Deuxième confirmation: la boîte aux propositions est ouverte «Pour moi, il n’y a pas de questions interdites. Nous ne serons pas d’accord sur tout, c’est normal, c’est la démocratie. Mais au moins montrerons-nous que nous sommes un peuple qui n’a pas peur de parler, d’échanger, de débattre. […] Je pense aussi que de ce débat peut sortir une clarification de notre projet national et européen, de nouvelles manières d’envisager l’avenir, de nouvelles idées.» Rien, par contre, sur la méthode qui sera suivie ces deux prochains mois, si ce n’est le rappel des quatre thèmes à traiter: impôts, dépenses et action publique; organisation de l’Etat et des collectivités publiques; transition écologique; démocratie et citoyenneté, y compris la question de la laïcité.
Reste l’ambiguïté fondamentale de ce courrier, comme de la démarche. Volontariste, puisqu’elle propose aux Français de se prononcer sur des sujets aussi sensibles que les économies budgétaires, ou la possibilité de «renforcer la décentralisation et donner plus de pouvoir de décision et d’action au plus près des citoyens», la «lettre aux Français» ne dresse guère de priorités et ne dit surtout pas comment celles-ci seront ensuite classées, consignées, traitées et transformées en éventuels textes législatifs. Symbole de cette impression de «déjà entendu», la question du référendum d’initiative citoyenne (RIC), très populaire au sein des «gilets jaunes», ne fait l’objet que d’une ligne: «Faut-il accroître le recours aux référendums et qui doit en avoir l’initiative?» De quoi décevoir tous ceux qui voient dans cette exigence référendaire la seule façon de modifier durablement la verticalité de la Ve République.
«Vos propositions permettront donc de bâtir un nouveau contrat pour la Nation, de structurer l’action du gouvernement et du parlement», conclut Emmanuel Macron, avant de signer son courrier d’un simple «En confiance». Pas sûr que cette explication de texte, au vu de la colère ambiante, suffise à renouer le lien entre l’Elysée et la France fracturée.
«Nous ne serons pas d’accord sur tout, c’est normal» EMMANUEL MACRON