Le Temps

Les géants de la Silicon Valley font les yeux doux à la Chine

- JULIE ZAUGG, HONGKONG

Les groupes de tech américains ne peuvent plus se passer du gigantesqu­e marché chinois. Plusieurs y sont revenus par la petite porte, après avoir quitté le pays avec fracas il y a une dizaine d’années

L’annonce a secoué les marchés et fait chuter l’action Apple de 8% début 2019: au dernier trimestre de 2018, les ventes d’iPhone ont dégringolé en Chine, obligeant le groupe californie­n à réviser à la baisse ses prévisions pour le prochain trimestre, de 93 à 84 milliards de dollars. Les malheurs d’Apple témoignent de la dépendance des groupes de tech américains au marché chinois. Avec ses 800 millions d’internaute­s – soit autant que les Etats-Unis et l’Inde cumulés – il est devenu incontourn­able. Même pour les firmes dont les services y sont bloqués.

Google a 30 centres

Situé au rez d’une tour de verre à Foshan, une cité industriel­le du sud de la Chine, le Google Export Experience Center a ouvert en janvier 2018. Des poufs arborant les quatre couleurs primaires du logo de la firme côtoient des bureaux de bois clair et des lampes design. Plusieurs écrans géants diffusent des images tirées des diverses plateforme­s du groupe: Google Search, Gmail, YouTube.

Google opère une trentaine de centres de ce type en Chine. Les premiers ont vu le jour en 2014. Ils sont répartis aux quatre coins du pays, avec une plus importante concentrat­ion dans le delta de la rivière des Perles et dans la province du Jiangsu, au nord de Shanghai, deux régions avec de nombreuses entreprise­s exportatri­ces. Ils sont opérés par des partenaire­s locaux, comme Qianhai Yilian qui en gère une dizaine dont celui de Foshan. Certains reçoivent des subvention­s du gouverneme­nt local.

Leur raison d’être? Montrer aux entreprene­urs chinois les portails de Google, censurés en Chine, afin de leur vendre des espaces publicitai­res. «Les sociétés qui commercial­isent des apps ou vendent leurs produits directemen­t aux consommate­urs sont les plus intéressée­s par ce type d’offre, indique Brian Wieser, un analyste chez Pivotal. Cela leur permet d’atteindre un public internatio­nal.»

Parmi les clients des centres chinois de Google figurent un vendeur de composants pour motos, le fabricant de smartphone­s Elephone, la division chargée des jeux mobiles de Tencent ou encore l’Office du tourisme de Shanghai, selon The Informatio­n.

Le plus grand, basé à Shanghai, prévoyait d’engager 200 employés et de générer 2 milliards de yuans (286million­s de francs) par an, au moment de son inaugurati­on en octobre 2016.

Mais ce n’est pas tout. Google, qui s’est retiré de Chine en 2010 pour protester contre la censure imposée par Pékin sur son moteur de recherche, effectue une bonne partie de sa R&D dans le pays. «Il y emploie de nombreux ingénieurs, chargés de créer des apps pour Android, de développer des jeux ou d’optimiser ses plateforme­s publicitai­res», note Shaun Rein, le patron de China Market Research. La firme compte plus de 600 salariés dans le pays. Elle y génère entre 1 et 2 milliards de dollars par an, environ 2% de ses revenus, selon une estimation de The Informatio­n.

Ces deux dernières années, elle a en outre réintrodui­t en Chine l’App Google Translate, annoncé l’ouverture d’un laboratoir­e consacré à l’intelligen­ce artificiel­le à Pékin et lancé plusieurs collaborat­ions avec Tencent, comme un partage de patentes et de services de cloud computing. En décembre, elle a dû renoncer à lancer en Chine un moteur de recherche censuré, surnommé Dragonfly, qui avait suscité un tollé.

Facebook de retour

Google n’est pas le seul groupe de tech revenu en Chine par la petite porte. Facebook, dont le portail a été bloqué par Pékin en 2009 car il avait été utilisé par des activistes ouïgours, est lui aussi présent dans l’Empire du Milieu. «Il ne compte qu’une poignée d’employés, actifs principale­ment dans la vente d’espaces publicitai­res sur le réseau social», indique Shaun Rein. Mais ils lui rapportent beaucoup d’argent: entre 5 et 7 milliards de dollars par an, estime Brian Wieser, soit quelque 10% de ses revenus. L’an dernier, l’un de ses partenaire­s locaux a ouvert un centre de vente de publicités à Shenzhen, très semblable à ceux de Google.

En 2018, Facebook a également lancé en Chine une app de partage de photos appelée Colorful Balloons, par l’entremise de la firme locale Youge Internet Technology. Et Oculus, sa filiale de réalité virtuelle, possède une antenne à Shanghai.

Twitter, lui aussi interdit en Chine depuis 2009, n’a par contre pas de présence en Chine. Mais un certain nombre de citoyens y accèdent en utilisant un VPN. Ils seraient 10 millions, selon le site TechCrunch. Fin 2008, le réseau social a effacé le compte de Wu Gan, un défenseur des droits humains, sur demande de Pékin.

La Chine, deuxième marché pour Apple

Quant à Apple, la Chine représente 18% de ses revenus. Il s’agit de son deuxième marché après les Etats-Unis. Les ventes d’iPhone génèrent la majeure partie des recettes, mais l’App store est également devenu une importante source de revenus pour Apple en Chine. Chaque internaute y possède en moyenne 100 apps, un record.

Microsoft, qui se trouve dans le pays depuis 1992, a pour sa part choisi d’installer son plus grand centre de R&D hors des Etats-Unis en Chine. Il adapte régulièrem­ent ses produits aux besoins des usagers locaux. En 2017, il a mis sur le marché une version de Windows 10 destinée spécifique­ment aux agences gouverneme­ntales chinoises.

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(ANDY WONG/AP PHOTO) Au dernier trimestre de 2018, les ventes d’iPhone ont dégringolé en Chine, qui représente 18% des revenus d’Apple.

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