Le Temps

«Panerai devient une marque d’expérience­s»

Jean-Marc Pontroué ouvre ce lundi son premier Salon internatio­nal de haute horlogerie sous les couleurs de la marque de Florence. Entré en fonction il y a une année, il raconte comment il entend miser sur «l’italianité»

- PROPOS RECUEILLIS PAR VALÈRE GOGNIAT @valeregogn­iat

tIl a déjà appris à dire «quelques mots». Mais guère plus. Comme il a fait de l’améliorati­on de son italien une «priorité», Jean-Marc Pontroué s’est offert une méthode pour débutant. Il faut dire que le nouveau patron de Panerai, entré en fonction l’an dernier, prévoit de miser sur «l’italianité de la marque» pour faire grandir ses deux collection­s: Luminor et Radiomir.

Dès lundi, ce Français d’origine vivra son premier Salon internatio­nal de haute horlogerie sous les couleurs de Panerai après huit éditions sous la bannière de Roger Dubuis, autre marque du groupe Richemont, plus petite et plus spécialisé­e. Pour Jean-Marc Pontroué, Panerai représente donc un nouveau chapitre.

La marque fondée à Florence en 1860, puis relancée par Richemont au tournant des années 2000, réalise des montres masculines et imposantes. Elle rassemble surtout une très importante communauté de fans – les «paneristi» – collection­neurs jusqu’à l’extrême qui ne parlent qu’en références codées.

Vous ne savez donc pas encore parler italien. Mais est-ce que vous maîtrisez la langue des «paneristi»?

C’est encore plus difficile! Mais on peut quand même déjà comprendre l’état d’esprit de la marque sans en connaître les moindres références. Les «paneristi», j’en ai rencontré à Hongkong, en Italie, aux Etats-Unis – l’un d’entre eux possédait 300 de nos montres – et je leur ai expliqué que l’on allait apporter une évolution sans bouleverse­r les acquis et l’historique de la marque. Ceux qui sont nés et vaccinés avec Panerai, qui connaissen­t la marque depuis sa relance, ont semblé rassurés. Cette communauté est une chance pour nous: peu de marques de luxe, horlogères ou non, possèdent un capital émotionnel aussi important auprès d’une clientèle disséminée dans le monde entier.

Comment expliquez-vous cette fidélité?

C’est évidemment une somme de plusieurs éléments. Dans ses produits, Panerai ne s’est d’abord pas diversifié­e à outrance, elle est restée relativeme­nt puriste. Ensuite, elle a grandi très vite. Elle n’existait pas en 1998, elle est aujourd’hui dans le top 25 des plus grandes marques suisses. Cette histoire récente et le fait que certains collection­neurs l’accompagne­nt depuis ses débuts expliquent aussi que cela déchaîne certaines passions. Il y a également le pouvoir du groupe Richemont d’imposer une marque grâce à son réseau de distributi­on et à sa force de frappe marketing. Enfin, il y a le fait que la marque soit arrivée à un très bon moment, à l’aube des années 2000, juste avant l’explosion de la demande pour les montres mécaniques et pour les montres sportives mais chics.

Panerai a toujours produit des montres de grand diamètre, masculines et plutôt techniques. Pourquoi avoir lancé l’an dernier un modèle pour femme?

Ce n’est pas une montre pour femme! Et cette Due en 38 mm reste une montre imposante par rapport aux modèles de nos concurrent­s. Mais il est vrai qu’il y a davantage de femmes qui l’achètent. Quoi qu’il en soit, Panerai ne va pas se lancer dans les montres serties avec des bracelets roses. Et 38 mm sera notre plancher, nous ne ferons pas de montres plus petites.

Quelles seront les annonces de cette édition du SIHH?

Nous nous sommes demandé ce que nous pouvions offrir de plus à nos clients, car certains connaissen­t même mieux la marque que nous. Et nous avons décidé de faire de Panerai une marque d’expérience­s, c’est la grande nouveauté. En achetant une montre de l’édition limitée des commandos italiens, le client pourra par exemple s’entraîner une journée avec eux, celles qui sont liées à notre ambassadeu­r Mike Horn seront remises aux clients en mains propres par l’aventurier, etc. Vous comprenez l’idée? Mon ambition est que Panerai soit perçue comme une marque qui offre des expérience­s et pas seulement de nouveaux produits. Je suis convaincu que ce type d’offres va devenir de plus en plus fréquent. Et inaugurer une nouvelle ère pour les marques de luxe.

Vu votre communauté de fans, on dit volontiers qu’il est facile de vendre la 20e Panerai à un client, mais très

Il y a un peu de vrai. Mais, vous savez, j’ai demandé à notre plus grande boutique, à Hongkong, de me donner des statistiqu­es pour savoir qui étaient leurs clients. La bonne nouvelle était que, pour 80% d’entre eux, il s’agissait de leur première Panerai. Oui, notre base de clients historique­s trouve toujours d’excellente­s raisons d’acheter de nouvelles pièces. Et il y a un noyau dur de collection­neurs qui les achètent presque toutes et qui les mettent dans des lieux sur mesure, des armoires spéciales voire des musées privés. Ces clients sont pour nous très précieux et mon rôle consistera justement à entretenir cette base tout en réussissan­t à séduire de nouveaux clients, y compris les millennial­s.

difficile de vendre la première. Mais comment et pourquoi un jeune de 25 ans achèterait aujourd’hui une Panerai?

Il faut miser sur notre différenci­ation, le fait que l’on est une marque anti-mainstream.

Jean-Marc Pontroué: «J’ai un intérêt historique pour cette marque, sa masculinit­é et ses produits iconiques.»

Un certain flottement a entouré votre changement de casquette. Alors que vous étiez encore chez Roger Dubuis, on a entendu d’abord que vous retourniez chez Montblanc. Puis, que vous deveniez le patron de Jaeger-LeCoultre. Et finalement on vous retrouve chez Panerai…

Les rumeurs font partie de notre industrie. Je retiens simplement que j’ai adoré mes huit années chez Roger Dubuis mais que, lorsque l’on m’a proposé Panerai, je n’ai pas hésité. J’ai un intérêt historique pour cette marque, son exclusivit­é, sa masculinit­é et ses produits iconiques. Il n’y a quand même pas beaucoup de marques qui peuvent se permettre de lancer des montres sans logo tant elles sont reconnaiss­ables… Nous le faisons cette année en référence à un de nos produits historique­s.

Comment s’est passée la transition avec Angelo Bonati, le précédent directeur général qui a porté la marque depuis ses débuts?

C’est vrai, il a cru et porté avec efficacité les éléments de la marque qui ont fait sa force; le fait de miser sur seulement deux lignes de produits ou sur l’italianité (ce qui n’allait pas de soi pour une marque horlogère). Malgré les quelques soubresaut­s de ces vingt années, il n’en a que peu dévié. Angelo Bonati a construit les fondations de l’immeuble, ce qui est le plus difficile et le plus ingrat, car cela prend le plus de temps sans que l’on perçoive de résultats immédiats. Mon rôle consistera à reprendre cette histoire là où il l’a laissée, comme je l’ai fait à la suite de Georges Kern chez Roger Dubuis. Il ne faut pas avoir peur, mais simplement respecter et intégrer les règles du jeu, tout en continuant de construire l’édifice avec les équipes. Reprendre les idées de base, les décortique­r et trouver des moyens de les magnifier.

Son manque d’investisse­ment dans le numérique a souvent été pointé du doigt. Qu’en pensez-vous?

Que Panerai doive accélérer sa présence numérique, cela ne fait pas l’ombre d’un doute. Mais nous n’avons pas plus de retard que les autres marques – sur Wechat, par exemple, nous sommes d’ailleurs l’une des plus avancées. Deux réflexions sur le numérique: les réseaux sociaux sont par nature volatils et nous devons imaginer comment créer des contenus spectacula­ires qui attirent l’intérêt sur la marque, comment organiser notre prise de parole et générer une actualité régulière. Nous devons également nous renforcer sur ce qui concerne l’e-commerce ou les produits spéciaux; d’autant plus que nous pouvons compter sur cette communauté dont nous avons parlé.

Quid de la communicat­ion de la marque? Vous jouez sur des images renvoyant à la Florence du XIXe siècle, mais en même temps sur des technologi­es de pointe avec votre slogan «laboratoir­e d’idées». N’y a-t-il pas là une dissonance?

Je le concède, jouer sur ces deux tableaux est un exercice difficile et le résultat peut parfois paraître flou même si ces deux histoires sont bien réelles. A l’avenir, nous allons recentrer la marque sur deux axes majeurs que sont le laboratoir­e d’idées et son italianité.

On sait que Panerai est l’une des marques fétiches de Johann Rupert, propriétai­re de Richemont. Non seulement il en porte toujours une au poignet, mais il rigole parfois en en parlant comme de son «quatrième enfant». C’est une pression supplément­aire?

Au contraire, c’est plutôt un avantage, car mes interlocut­eurs savent que Panerai est une marque qui possède un certain poids au sein du groupe. Plus généraleme­nt, oui, le propriétai­re de notre groupe sera plus sensible à un certain degré d’innovation mais, dans les grandes lignes, le terrain de jeu reste le même. Je mesure l’attachemen­t de notre président à la marque et à l’importance de respecter les codes forts qui ont fait son succès. C’est pourquoi je réfléchira­i à deux fois avant de proposer une Panerai quartz à 999 euros…

Plus généraleme­nt, dans quel état se trouve la marque? On estime qu’elle produit environ 70 000 montres pour 450 millions de francs de chiffre d’affaires, est-ce correct?

Je ne peux donner aucun chiffre à part vous dire que l’on emploie 80 personnes à Milan, 30 à Genève et 245 à Neuchâtel. Nous avons 40 boutiques en propre, 40 gérées par des partenaire­s et 500 points de vente chez des détaillant­s. Nous réduisons graduellem­ent notre distributi­on afin de nous concentrer sur nos partenaire­s les plus fidèles.

«Il n’y a pas beaucoup de marques qui peuvent se permettre de lancer des montres sans logo tant elles sont reconnaiss­ables»

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(GUILLAUME PERRET/LUNDI 13 POUR LE TEMPS)

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