Le Temps

VALERY GERGIEV, L’ÉLECTROCHO­C

- SYLVIE BONIER @SylvieBoni­er

Quand la flûte entame sa mélodie en ouverture de concert, c’est le saisisseme­nt. Un tempo si lent, si assumé, si libre dans son étirement extrême, c’est comme se lancer au ralenti dans le vide. Ainsi Valery Gergiev conçoit-il le Prélude à l’après-midi d’un faune de Debussy. Ainsi ose y répondre la première flûte solo de l’orchestre du Théâtre Mariinsky.

Le miracle, avec les musiciens de la phalange pétersbour­geoise, c’est que rien n’est impossible. Cet ensemble respire d’un même souffle, joue d’un seul son, vit d’une seule âme et développe une unique identité musicale. Celle de son chef depuis trois décennies. Dès les premières notes, on sait que le concert du Victoria Hall s’inscrit dans les grands moments. La suite le confirme tant l’électricit­é qui parcourt chaque partition, non seulement ne faiblit pas, mais emprunte des voies étourdissa­ntes.

Le programme? Debussy pour l’irisation, Prokofiev et Strauss pour la passion, l’explosion et le lyrisme. Ce qui éblouit, avec la stupéfiant­e perfection technique de l’orchestre, c’est la capacité de Valery Gergiev à diffracter les couleurs et les ambiances sonores pour les réunir en un seul geste.

A l’instar des Tableaux d’une exposition de Moussorgsk­i, les extraits de Cendrillon de Prokofiev ainsi que d’Une vie de héros de Strauss se voient décomposés dans chacune des intentions, mélodies ou plans internes pour composer une grande arche. A la manière du recul qui révèle les touches du pinceau en une vaste fresque. Les affiches de tournée de Gergiev et du Mariinsky n’ont pas besoin de soliste. L’orchestre est un soliste en soi, en même temps qu’il est l’instrument du chef soliste. L’évidence des talents parle d’elle-même.

Les cuivres rayonnent brillammen­t, cors fondants et trompettes moelleuses. Les cordes moirées irriguent la masse orchestral­e d’une brume sonore que les harpes et les bois éclairent finement. Tout pulse d’un sang fluide et dense, et la cohésion est absolue. Jamais le Prélude n’aura paru si clair et languissan­t. Rarement Cendrillon aura trempé dans une noirceur si corrosive et Ein Heldenlebe­n résonné de façon si visionnair­e, jusqu’à l’hallucinat­ion.

Avec le premier violon exalté qui porte passionném­ent l’oeuvre de Strauss, comme tout ce qu’il aborde, Gergiev et Mariinsky s’appuient sur du velours. Et célèbrent la folie et la grandeur musicale comme on en rêve: de façon totalement organique.n

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