L’Italie aux prises avec les terreurs du passé
Symbole sombre des années de plomb, Cesare Battisti a été arrêté en Bolivie après trente-sept ans de cavale et expulsé vers l’Italie. Condamné pour quatre meurtres, cet ancien activiste d’extrême gauche purgera sa peine de réclusion à perpétuité en Sardaigne. Selon des estimations, une quarantaine d’autres militants politiques, «rouges» ou «noirs», sont toujours en fuite, empêchant le pays de refermer une page tragique de l’Histoire.
L’arrestation du fugitif, considéré par Rome comme terroriste, ravive la blessure encore ouverte des années de plomb. L’Italie a la ferme intention d’obtenir l’extradition de dizaines d’autres fugitifs encore en cavale à travers le monde
Un léger sourire se dessine sous un bouc marron, fendant un visage aux traits tirés. Cesare Battisti descend du Falcon 900 du gouvernement italien, entouré de policiers. L’avion vient d’atterrir à Rome, lundi à la mi-journée. L’un des Italiens les plus recherchés à l’étranger a été arrêté samedi en Bolivie, après trente-sept ans de cavale passés entre la France et le Brésil. Cet ancien activiste d’extrême gauche, partisan de la lutte armée durant les années de plomb, doit purger une peine de prison à vie pour sa participation à quatre meurtres et, notamment, pour «insurrection armée» et «association subversive». Condamné à perpétuité
L’homme de 64 ans a été transféré dans l’après-midi dans une prison en Sardaigne, en isolement. «Je sais que maintenant j’irai en prison», avait-il soufflé aux agents en sortant de l’avion, selon l’agence de presse Ansa. «J’espère ne pas le rencontrer de près», lui a indirectement répondu Matteo Salvini, le ministre de l’Intérieur, lui aussi à l’aéroport de Ciampino. «L’Italie doit célébrer ce jour, avec trop de retard», a poursuivi le chef de la Ligue, le parti d’extrême droite au pouvoir, espérant arrêter également «les autres dizaines de terroristes qui ne sont pas en train de purger leur peine» et ce, «quelle que soit leur couleur politique».
La presse italienne estime qu’une quarantaine d’autres militants politiques condamnés pour des raisons similaires à Cesare Battisti sont encore en cavale dans le monde. Ce dernier est le plus connu d’entre eux. Souvent sous les projecteurs médiatiques, reconverti en écrivain, il est devenu le symbole des années de plomb, lorsque dans les années 1970 et 1980, l’opposition politique s’est traduite en violence meurtrière, jusqu’à l’organisation d’attentats.
Le militant est d’abord condamné pour son appartenance aux PAC, sigle des Prolétaires armés pour le communisme, un groupuscule d’extrême gauche, jugé «terroriste» par Rome. En 1981, il s’évade de prison, avant d’être condamné à la perpétuité cette fois pour quatre homicides, dans lesquels il a pris part directement ou indirectement. Il se réfugie ensuite quinze ans en France avant d’arriver au Brésil, où il vivait depuis 2004. Protégé par le président Lula puis par Dilma Rousseff, il fuit en Bolivie en décembre dernier, après l’élection de Jair Bolsonaro.
En Amérique latine, il aurait profité de sympathies politiques et auparavant, en France, de la «doctrine Mitterrand». L’ancien président français avait en effet promis en 1985 de ne pas extrader les activistes italiens ayant rompu avec la lutte armée. Soutenu par des intellectuels français, Cesare Battisti s’est transformé en victime. Des pétitions sont lancées pour le défendre. Il reçoit même en 2004 la visite en prison de François Hollande, alors premier secrétaire du Parti socialiste. L’ancien président se rend à la Santé à Paris pour «marquer sa désapprobation», «affirmer qu’il est inadmissible que la France revienne sur la parole donnée par François Mitterrand, puis par Lionel Jospin, aux Italiens exilés en France» et que les autorités «obéissent ainsi immédiatement aux pressions de Berlusconi [alors président du Conseil italien]», comme le rapporte Libération le 24 février de la même année.
Ainsi, dans la liste des «fugitifs rouges et noirs» dressés par Il Corriere, nombreux sont les Italiens résidant en France. Comme Giorgio Pietrostefani, fondateur de Lotta continua («Lutte continue»), condamné pour meurtre, ou Enrico Villimburgo, membre des Brigades rouges, condamné à la prison à vie dans le procès Moro, du nom du premier ministre italien assassiné en 1978 par l’organisation d’extrême gauche classée «terroriste». Ou encore Marina Petrelli, condamnée en Italie à la prison à perpétuité pour complicité de meurtre d’un policier. En 2008, le président français Nicolas Sarkozy a renoncé à extrader cette ancienne terroriste membre des Brigades rouges pour des raisons humanitaires. D’autres fugitifs se trouveraient aujourd’hui au Pérou, en Argentine, au Nicaragua ou encore en Angleterre.
Un passé qui ne s’en va pas
Mais ces hommes et ces femmes n’ont pas acquis la notoriété de Cesare Battisti, devenu le «symbole d’un passé qui ne s’en va pas, selon Andrea Baravelli, professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Ferrare. Symbole d’une injustice, car la blessure des années de plomb est encore ouverte dans la Péninsule. Les Italiens avaient besoin d’un bouc émissaire. Son arrestation participe à la guérison.» Pour Il Corriere della Sera, l’épisode met fin à «une légende noire qui a altéré la vérité et transformé en martyr de la liberté, en écrivain persécuté par l’oppression de l’Etat italien, un terroriste».
Cette arrestation n’est pas une «vengeance, mais la réparation d’un tort», conclut le journal. Elle relance une lutte engagée il y a bientôt un demi-siècle. A la Chambre des députés, la Lega a déjà promis de présenter une motion pour «solliciter avec détermination» l’extradition de dizaines de «terroristes condamnés en cavale».
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François Mitterrand avait promis en 1985 de ne pas extrader les activistes italiens ayant rompu avec la lutte armée