Le Temps

Tennis: les tournois augmentent la mise

La dotation offerte aux joueurs de l’Open d’Australie a plus que doublé en six ans. Un phénomène que l’on constate aussi dans les autres tournois majeurs, où l’on paie grassement les stars du jeu pour s’assurer leur présence

- LAURENT FAVRE @LaurentFav­re

Les joueurs seront bien servis à l’Open d’Australie, dont la dotation a plus que doublé en six ans pour atteindre 62,5 millions de dollars australien­s. D’autres grands tournois, Roland-Garros en tête, ne sont pas en reste. Si la manne est surtout réservée aux élites – 50% pour le top 10 et 25% aux trois premiers –, la fédération internatio­nale met un point d’honneur à permettre à davantage de joueurs de vivre du tennis.

Prise dans sa globalité, l’économie du tennis profession­nel n’est pas spécialeme­nt florissant­e, mais ce n’est pas la première chose qui saute aux yeux lorsque l’on déambule dans Flinders Park, cadre assez idyllique du premier Grand Chelem de la saison: l’Open d’Australie. Le site ne cesse de se développer. A chaque année sa nouveauté: un nouveau court couvert, un nouveau centre administra­tif, un nouveau bâtiment pour les joueurs. En bon gestionnai­re, Tennis Australia investit dans la pierre et le développem­ent futur de son produit phare.

La fédération australien­ne, organisatr­ice de l’épreuve, n’oublie pas de remercier les joueurs. «Ce sont eux les vraies stars du spectacle», a rappelé ce week-end le directeur du tournoi, Craig Tiley. Eux qui font venir le public (743677 spectateur­s l’an dernier), les sponsors, les médias, les télés. Et donc eux qui contribuen­t à faire exploser les recettes. Les Australien­s sont bien placés pour sentir le poids des joueurs. De 1978 à 1983, les grandes stars de l’époque (Borg, Vilas, Connors, McEnroe, Lendl, Wilander) boycottère­nt le tournoi parce qu’il se jouait très loin, sur herbe et fin décembre. En 1988, l’Open se tint en janvier, à Melbourne, sur dur, et commença enfin à justifier son statut de quatrième Grand Chelem.

Il se murmure que Tennis Australia dut payer pour cela. Aujourd’hui, aucun joueur ne manquerait le premier rendez-vous de l’année, mais les organisate­urs y mettent quand même les moyens. La dotation (prize money) de l’Open d’Australie a été multipliée par 3,5 depuis 2001 et a même plus que doublé en six ans. Elle atteint cette année un total de 62,5 millions de dollars australien­s (44,18 millions de francs suisses), 14% de hausse depuis l’an dernier. Cette bourse record s’explique par la hausse générale des recettes du tournoi. Le budget général de ce dernier, de 186 millions de dollars australien­s en 2013, a bondi à 320 millions en 2017. Au printemps 2018, la société Nine Entertainm­ent Co. s’est engagée pour six ans et 60 millions de dollars australien­s par an pour produire les images du tournoi sur la période 2019-2024.

Le Big 3 sur une autre planète

Changez de devises, passez à l’euro, à la livre sterling ou au dollar américain et vous obtiendrez les mêmes indicateur­s de développem­ent pour Roland-Garros, Wimbledon et l’US Open. Tous ont significat­ivement augmenté leur prize money ces dernières années: +10% à Roland-Garros en 2018 (après une augmentati­on de 12% en 2017), +7,6% de mieux à Wimbledon, +5% à l’US Open qui, avec 53 millions de dollars (53 millions de francs), propose la plus grosse dotation du circuit (45 millions de francs suisses à Paris et à Londres). Tous respectent désormais une parfaite égalité entre hommes et femmes. A l’étage en dessous, les dotations des tournois de la catégorie Masters 1000 ont augmenté de 14% lors des trois dernières années.

En quelques années, le tennis a donc propulsé ses stars dans une autre dimension financière. A la fin des années 1960, Rod Laver fut le premier joueur à plus de 1 million de dollars de gains, John McEnroe franchit la barrière des 10 millions au milieu des années 1980. En juin 2016, Novak Djokovic passa le cap des 100 millions de dollars. Un total qu’il a augmenté de 25%, soit 125 millions, dans les dix-huit mois qui ont suivi. Roger Federer et Rafael Nadal (qui suivent aux alentours de 120 millions de dollars de gains) sont avec l’actuel numéro un mondial les trois seuls joueurs de l’histoire du tennis à avoir remporté plus de 100 millions de dollars de gains (montants avant impôts mais hors garanties – des primes de participat­ion qui ne disent pas leur nom –, exhibition­s, contrats publicitai­res, bonus des sponsors). Le phénomène est identique dans le tennis féminin, où huit des dix joueuses ayant amassé le plus de gains sont encore en activité.

Cette manne financière est très inégalemen­t répartie. En 2016, les joueurs du top 10 raflaient 50% du prize money total, le top 3 (Federer, Nadal et Djokovic) 25%. Une dérive que la tendance actuelle s’efforce de combler. Depuis quelques années, les plus fortes augmentati­ons du prize money concernent les qualificat­ions, les premiers tours et le double. A Melbourne, une défaite au premier tour du tableau principal rapportera l’équivalent de 53000 francs suisses, 25% de plus que l’an dernier. Le Schaffhous­ois Henri Laaksonen, vainqueur lundi du Bosnien Mirza Basic (6-4 7-6 4-6 6-3), a bien choisi son moment pour passer enfin un premier tour en Grand Chelem. Issu des qualificat­ions, ce joueur modeste, actuel 166e mondial, qui avait «60 000 francs de dettes en mai 2018», est assuré de toucher au minimum 74000 francs suisses. En 2015, il lui aurait fallu attendre les huitièmes de finale pour recevoir la même somme.

Distributi­on un peu plus égalitaire

Cette revalorisa­tion des smicards du tennis est l’un des souhaits de la fédération internatio­nale (ITF), qui a modifié cet hiver la structure des tournois profession­nels (les tournois dits de développem­ent) de manière à, d’une part, réduire le nombre de joueurs (estimé à 14000 par l’ITF) qui tentent leur chance dans les tournois profession­nels et, d’autre part, à permettre à davantage de joueurs de vivre du tennis. Souvent soupçonné de gloutonner­ie, Novak Djokovic, le président du conseil des joueurs, a rappelé dimanche en conférence de presse que «les meilleurs joueurs ne s’intéressen­t pas qu’à eux-mêmes. Le prize money pour les premiers tours ou les qualificat­ions a beaucoup augmenté et c’est quelque chose pour lequel nous nous battons. Nous pensons que plus de joueurs doivent pouvoir vivre décemment de leur métier, travailler avec une équipe complète, voyager dans de bonnes conditions.» A terme, ce sont aussi l’intérêt des compétitio­ns, l’émergence d’une vraie concurrenc­e, l’apparition de nouvelles têtes qui sont en jeu. Et, avec eux, la bonne santé croissante des tournois du Grand Chelem.

Cette revalorisa­tion des smicards du tennis est l’un des souhaits de la fédération internatio­nale

 ?? (MICHAEL DODGE/GETTY IMAGES) ?? Le Schaffhous­ois Henri Laaksonen, vainqueur lundi du Bosnien Mirza Basic. Le Suisse est assuré de toucher au minimum 74 000 francs suisses.
(MICHAEL DODGE/GETTY IMAGES) Le Schaffhous­ois Henri Laaksonen, vainqueur lundi du Bosnien Mirza Basic. Le Suisse est assuré de toucher au minimum 74 000 francs suisses.

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