Theresa May face à l’imbroglio britannique
La Chambre des communes devrait rejeter mardi soir l’accord négocié par le gouvernement britannique avec l’Union européenne sur le Brexit. La première ministre a présenté une impressionnante ténacité, mais elle s’est coupée de trop de députés
Theresa May est sur le point de marquer l’Histoire, mais sans doute pas de la façon dont elle l’aurait souhaité. Sauf énorme surprise, la Chambre des communes va rejeter largement ce mardi soir l’accord sur le Brexit qu’elle a signé avec l’Union européenne. Selon le pointage réalisé par la BBC, la première ministre britannique devrait perdre le vote par 206 voix en sa faveur et 433 contre. Si cela se confirme, ce sera la pire défaite jamais essuyée par un gouvernement dans la longue histoire du parlement britannique. Il faut remonter à 1924 pour trouver ce genre de déculottée: l’exécutif travailliste avait alors perdu un scrutin avec 166 voix d’écart. Et même si l’ampleur de la catastrophe est finalement limitée, la défaite, elle, ne fait pratiquement aucun doute.
L’événement ouvre une période de crise politique majeure au Royaume-Uni. Si rien n’est fait, le pays sortira de l’Union européenne le 29 mars, sans aucun accord. Mais le parlement n’entend pas se laisser faire. Avec ce vote, il tente de reprendre le contrôle du processus du Brexit, dans un renversement constitutionnel rare.
Etonnant destin que celui de Theresa May. Cette fille de pasteur anglican, travailleuse appliquée, ne manquant jamais une messe du dimanche, amatrice de longues marches dans les collines vertes de son pays, n’a absolument rien d’une révolutionnaire. Elle se trouve pourtant chargée de la plus sérieuse crise politique du Royaume-Uni depuis le fiasco de l’intervention à Suez en 1956.
A 62 ans, cette diabétique qui ne se plaint jamais de sa maladie, incapable d’improvisation, provoque à la fois le dédain de ses propres députés, qui ne respectent plus son autorité, et leur admiration face à son entêtement absolu.
Depuis deux ans et demi qu’elle est première ministre, Theresa May a essuyé tous les affronts. Ses principaux ministres ont démissionné, à commencer par Boris Johnson et David Davis, les ministres qui voulaient un Brexit dur. Les leaders de l’Union européenne se sont moqués d’elle. Même le très sérieux Donald Tusk, président du Conseil, a osé publier en septembre sur les réseaux sociaux une photo de la première ministre britannique en train de choisir un petit gâteau, avec la légende «désolé, il n’y a pas de cerise», en référence à l’impossibilité de choisir entre les règles du marché unique (cherry picking en anglais).
Ses propres ministres ne respectent plus son autorité, donnant chacun son avis dans une cacophonie totale.
Cheval de labeur
Liam Fox, ministre du Commerce international, reconnaît qu’il est «improbable» que Theresa May gagne le vote ce mardi. Amber Rudd, la ministre des Aides sociales et des Retraites, rejette publiquement l’idée d’aller vers un Brexit sans accord en cas de défaite au parlement, ce qui est pourtant la version officielle.
Et pourtant, Theresa May est toujours là. Sa capacité à essuyer les coups, à continuer malgré tout, provoque une certaine admiration. Il faut se rendre à Maidenhead, sa circonscription, pour mieux comprendre son mode de fonctionnement. Dans ce coin périurbain et rural proche de Londres, plutôt huppé, la députée locale est connue de tous. Pas une fête de quartier, pas un bal populaire où elle ne soit présente.
«Je lui avais écrit pour demander si elle pouvait venir cinq minutes à l’ouverture de mon magasin, se rappelle Gurpreet Banghra, un petit entrepreneur local. Elle est venue une heure.» Il y a deux ans, Melissa Tiller, jeune mère célibataire qui avait des problèmes personnels, avait contacté tous les partis politiques pour demander de l’aide. «Personne ne m’a répondu. J’ai finalement écrit à mon député, sans savoir qui c’était. Le lendemain, son bureau m’a répondu, et j’ai ensuite été reçue à Downing Street, par Theresa May en personne. Elle a débloqué ma situation très rapidement.» Très reconnaissante, la jeune femme a désormais rejoint le Parti conservateur.
Ce travail de cheval de labeur, très prudent et sérieux, est ce qui a fait la force de Theresa May comme ministre de l’Intérieur de David Cameron pendant six ans. Discrète, étudiant ses dossiers, entourée par deux très proches conseillers qui ne laissaient rien filtrer, la future première ministre s’entendait mal avec les jeunes urbains issus des classes aisées qui dominaient alors la politique britannique mais elle s’est imposée à son poste.
Législatives catastrophiques
Cette force a fait sa faiblesse à Downing Street. Dressant une barrière impossible à franchir, ses deux conseillers ont été forcés à la démission après la catastrophique élection législative anticipée de juin 2017. Isolée, ne laissant jamais percevoir son point de vue personnel, la première ministre s’est coupée de tous, brexiters durs comme opposants au Brexit, perdant un à un tous ses alliés.
C’est ce qui cause sa perte aujourd’hui. Theresa May a ramené de Bruxelles un compromis qui n’est pas si mauvais: celui-ci permet de contrôler l’immigration européenne tout en limitant les dommages économiques, mais il oblige le RoyaumeUni à suivre les règles économiques européennes sans faire partie de l’UE. Ce rôle de «vasselage» est vivement rejeté par les deux camps opposés du Brexit. La première ministre n’a pas su les préparer à faire des compromis, et n’a pas su construire les ponts nécessaires.
En partie, cela relevait de la mission impossible. Partisans et opposants du Brexit proposent des visions radicalement opposées, difficilement conciliables. En partie, l’erreur des élections législatives anticipées de 2017 a tout changé: si Theresa May avait disposé d’une majorité d’une cinquantaine de députés à la Chambre des communes, il est probable qu’elle aurait réussi à imposer son accord. Mais en partie, la tâche était tout simplement trop rude pour cette politicienne sérieuse, respectueuse, mais qui manquait de vision et de charisme.
Pour l’instant, elle devrait tenir à son poste. Les conservateurs ne veulent pas précipiter sa chute, alors qu’aucun successeur ne s’impose ni n’a de plan magique. Mais la première ministre britannique est sur le point d’échouer sur le Brexit, le sujet qui définira son mandat de première ministre britannique.
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«Je lui avais écrit pour demander si elle pouvait venir cinq minutes à l’ouverture de mon magasin. Elle est venue une heure» GURPREET BANGHRA, COMMERÇANT BRITANNIQUE, À PROPOS DE LA DÉPUTÉE DE SA CIRCONSCRIPTION, THERESA MAY