Le fiasco CFF-Bombardier fait tousser
La désolation le dispute à la colère sur les forums qui se sont emparés de la lancinante question des convois en retard du fabricant canadien
Le saviez-vous? La Suisse compte 8,4 millions de spécialistes du rail et de ce qui roule dessus. C’est du moins le sentiment qui ressort de la lecture des commentaires qui accompagnent le constat désolé que fait tout le pays devant les nouveaux trains à deux étages FV-Dosto du canadien Bombardier, qui devaient être mis en service en 2013, mais qui manquent cruellement à l’appel. Douze rames seulement ont été mises en service, sur la ligne InterRegio Bâle-Zurich-SaintGall-Coire.
Les CFF demandent au constructeur de corriger «au plus vite» les «dérangements aux portes, les pannes de logiciel et de traction», et une meilleure fiabilité des rames. Ce week-end, le conseiller national argovien Ulrich Giezendanner (UDC) articulait dans le SonntagsBlick le chiffre mirobolant – mais irréaliste – de 600 millions de francs de pénalité que le constructeur devrait payer, en se fondant sur la somme de 500000 francs de retard par rame et par semaine. Et lundi midi, 20 minutes suspendait la page des réactions de ses lecteurs, «face à l’afflux massif de commentaires à valider sur ce sujet».
Car le «contrat du siècle», 59 trains ultramodernes commandés en 2009 pour un montant record de 1,9 milliard de francs, est en train de devenir le fiasco du siècle. Et la chose ferroviaire, cette passion nationale, suscite encore plus d’intérêt lorsqu’elle s’accompagne de soupçons de gabegie, d’incompétence et d’échos patriotiques et populaires. Personne n’a oublié que le thurgovien Stadler a été écarté au profit du canadien, et ses ateliers de Villeneuve (VD).
Plus de 8 millions de spécialistes, donc. Ou 8,4 millions de nationalistes? «Au lieu d’un travail sérieux réalisé en Suisse, l’accent a été mis sur une qualité peu fiable et inférieure. Et maintenant ces messieurs des CFF pensent qu’ils pourraient réclamer 600 millions de dommages et intérêts! Les Canadiens ne paieront pas!» se désole un lecteur du Blick.
«Stadler Rail a été exclu par tous les moyens et Bombardier a été délibérément choisi pour des raisons politiques – voici le retour de bâton», commente un autre. «En 2009, quand j’ai osé dire que c’était un scandale d’avoir donné ce contrat à cette boîte, je me suis fait démonter par les bienpensants. J’avais 100% raison. Ce contrat n’était que pour sauver Bombardier sur le canton de Vaud et la gauche se frottait les mains (surtout ne pas donner le contrat à un patron UDC)», proteste un lecteur du Matin.
«Les CFF, malgré l’énorme pression de Stadler et Siemens, ont préféré donner du travail à la Suisse romande», rappelle une lectrice, citant un article du Temps de 2010. Un argument détourné: «A l’époque, un appel d’offres public à respecter, et l’appui d’un élu vaudois pour favoriser l’emploi à Villeneuve (ou plutôt en Haute-Savoie, à vrai dire)», développe un lecteur de 20 minutes. «Effectivement c’est impressionnant de voir le nombre de voitures immatriculées en France (90%) sur le parking de Bombarbier à Villeneuve… Cela soulève des interrogations», lui répond un autre lecteur. Hum.
Ce n’est pas le seul argument qu’on retrouve sur les forums. «Il fallait être complètement inconscient pour acheter EN UNE FOIS des dizaines de trains sur un produit qui n’avait jamais été testé ni même produit», estime un lecteur de 20 minutes. «Ce qui arrive aux CFF, c’est exactement ce qui se produit dans de nombreuses entreprises privées, renchérit un autre internaute, mais celles-ci font faillite par ricochet. Les CFF pas. Too big to fail, avec l’argent du peuple. La culture commerciale des CFF en cherchant toujours le meilleur marché a amené ce gâchis qui est payé cash par le contribuable.»
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