Le Temps

«Tout le monde a toujours payé son dû»

- RECUEILLIS PAR Y. P. PROPOS

L’organisate­ur des expédition­s en Russie, Eric Hoesli, s’exprime pour la première fois. Il insiste sur le côté privé de ces séjours

Vous avez organisé 15 voyages en douze ans en Russie avec des personnali­tés romandes. Pourquoi autant?

Je suis un passionné de cette région du monde. En trente-cinq ans, j'ai presque fait 150 voyages dans l'espace russe. L'idée d'y emmener des amis et des gens intéressés m'a été suggérée par le chef d'une délégation suisse que j'accompagna­is à Moscou. Je travaillai­s à un livre racontant l'histoire de la conquête de la Sibérie, j'ai donc mis progressiv­ement sur pied des expédition­s dans cette immense région. Le groupe s'est élargi. Il changeait chaque année. L'image d'un petit club fermé de happy few qui s'est imposée ne correspond pas à la réalité.

Pourquoi emmener des gens avec des fonctions dirigeante­s?

Le débat s'est focalisé sur quelques politicien­s et titille les partisans de théories du complot. En réalité, j'ai emmené des groupes de gens très différents: des amis, des journalist­es, des enfants, des artistes, des petits entreprene­urs… Leur point commun est d'être tous des curieux, prêts à sortir des sentiers battus. Nous avons, par exemple, visité le complexe minier de Norilsk, ancien goulag. Il n'a jamais été question de faire des voyages de propagande, comme certains l'ont prétendu. Nous avons systématiq­uement évité de devoir quelque chose aux autorités russes. J'ai toujours insisté pour que chacun paie sa part du séjour. Et j'ai répété à nos interlocut­eurs que nous étions des voyageurs privés.

Des photos attestent que vous avez été reçus par des autorités locales…

C'est arrivé rarement, mais c'est arrivé. Une fois, notre groupe a rejoint une expédition scientifiq­ue qui partait assister à des travaux d'université­s suisses et russes sous les glaces du lac Onega. Le gouverneur du coin a invité tout le monde. Sur les photos, on peut d'ailleurs voir à notre accoutreme­nt que nous n'étions pas préparés à cette verrée. Pas une fois, dans un voyage, je n'ai demandé aux autorités de nous recevoir.

En intégrant Frederik Paulsen, consul général honoraire de Russie, dans votre groupe, cela ne faisait-il pas prendre une tournure officielle aux voyages?

Frederik Paulsen est entré dans le groupe exactement comme les autres, après que j'ai fait sa connaissan­ce. Nous sommes tous deux des passionnés d'exploratio­n et de Russie, nous sommes devenus des amis. Quelquefoi­s j'ai profité de son statut pour ouvrir des portes de lieux qui seraient restées fermées. C'est tout.

Sa fonction n’en reste pas moins de promouvoir l’image de la Russie.

Il a beaucoup investi dans le développem­ent des échanges culturels et scientifiq­ues entre notre pays et la Russie. Mais pas seulement. C'est l'un des plus gros sponsors de l'Explorers Club aux Etats-Unis ou des recherches polaires française et danoise. Le décrire comme un simple pion de Moscou, c'est proprement ridicule.

En 2011, vous demandez à Frederik Paulsen de «faire la banque» et d’avancer les frais du voyage. Pourquoi?

Lors des premiers voyages, j'ai moi-même payé les avances nécessaire­s et les participan­ts me remboursai­ent. En 2011, Frederik Paulsen a proposé d'accompagne­r une mission paléontolo­gique qu'il finançait sur l'île Wrangel, réputée pour avoir accueilli la dernière colonie de mammouths de la planète. J'ai accepté, mais tenu à ce que les membres de notre groupe paient leur part comme d'habitude. Ils l'ont donc versée à Frederik Paulsen, qui avait déjà réglé l'ensemble de l'expédition. Par la suite, il est arrivé que ce dernier avance certaines grosses sommes. J'ai vérifié qu'elles lui soient remboursée­s. Tout le monde a toujours payé son dû. C'est ce qui ressort de l'enquête préliminai­re.

Reste néanmoins l’image d’une petite caste. Vous êtes aujourd’hui professeur à l’EPFL. Patrick Aebischer, ancien président de l’école, et Frederik Paulsen, qui y finance des chaires, faisaient partie de vos voyages…

Mon travail a toujours été d'essayer de comprendre et de faire comprendre la Russie. L'EPFL cherchait un enseignant au large spectre d'intérêts pour son programme d'Area Studies. J'ai été nommé par le Conseil des EPF après dépôt d'un dossier scientifiq­ue avec la recommanda­tion d'experts internatio­naux comme l'historienn­e Hélène Carrère d'Encausse. Frederik Paulsen n'a aucun rapport avec mon poste. Il a une seule fois accepté d'être l'un des sponsors finançant le voyage de mes étudiants.

Quel regard portez-vous sur toute cette affaire?

Je peux comprendre que les médias s'interrogen­t sur ces expédition­s. Le fait que des personnali­tés connues voyagent ensemble intrigue. Mais il y a ici un acharnemen­t – notamment contre Pascal Broulis, Géraldine Savary et Frederik Paulsen – que je trouve suspect. On n'a pas hésité à briser la carrière d'une conseillèr­e aux Etats pour des motifs futiles. Je suis heureux de savoir que nos politicien­s vont à la découverte du monde, prêts à prendre sur leurs vacances et à payer de leur poche pour cela. Préfère-t-on ceux qui sont sans horizon?

«Le débat s’est focalisé sur quelques politicien­s et titille les partisans de théories du complot»

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ÉRIC HOESLIANCI­EN JOURNALIST­E, PROFESSEUR À L’EPFL ET À L’UNIVERSITÉ DE GENÈVE

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