Comment transformer la France avec un débat
Les interrogations soulevées par Emmanuel Macron dans sa «lettre aux Français» pourraient, à l’avenir, faire l’objet d’un référendum à plusieurs questions
Il faut lire attentivement la «lettre aux Français» de cinq pages rédigée par Emmanuel Macron. S’il ne contient pas de surprise majeure de la part d’un chef de l’Etat demandeur, à travers le débat qu’il lancera ce mardi dans l’Eure, «d’une clarification du projet national et européen et de nouvelles manières d’envisager l’avenir», ce courrier trace trois pistes de réflexion principales, au-delà des thèmes mis sur la table (impôts, dépenses et action publique; organisation de l’Etat et des collectivités; transition écologique; démocratie et citoyenneté).
1•REFONDER LE «MODÈLE» FRANÇAIS
«Il faut rebâtir une école de la confiance. […] Notre modèle social est mis en cause. […] Notre modèle de représentation doit être amélioré.» Emmanuel Macron enfonce le clou dans sa missive. Désireux de «transformer les colères en solutions», il espère utiliser cette grande consultation pour dépasser le traumatisme des «gilets jaunes» et tirer un diagnostic complet sur l’état du pays.
Concrètement, c’est une forme d’audit national de ce qui ne marche plus en France qu’espère obtenir jusqu’au 15 mars Emmanuel Macron, pour relancer ensuite son quinquennat autour de quelques axes. A lire sa lettre, deux priorités sont sur la table: le financement de ce futur modèle français (à travers les nombreuses questions sur les impôts) et le rééquilibrage des institutions en faveur d’une plus grande participation populaire (questions sur le recours au référendum, sur une démocratie plus participative, sur le tirage au sort de représentants des citoyens, sur la transformation du Sénat).
2•RESPONSABILISER LES CITOYENS
L’utilisation fréquente de la forme interrogative renvoie la balle aux «gilets jaunes». Puisque la verticalité du pouvoir présidentiel est contestée, et que les élites politiques sont dans le collimateur, les citoyens doivent faire preuve de responsabilité et de créativité. «Je souhaite aussi que vous puissiez évoquer n’importe quel sujet concret dont vous auriez l’impression qu’il pourrait améliorer votre existence au quotidien», note Emmanuel Macron dans l’un des derniers paragraphes, comme pour bien signifier que l’heure des slogans est révolue.
A plusieurs reprises, le président redit d’ailleurs dans son courrier les contraintes de la vie publique. Sur l’impôt? «Il permet de régler les intérêts de la dette très importante contractée au fil du temps.» Sur la démocratie? «Nous ne serons pas d’accord sur tout, c’est normal. Mais au moins montrerons-nous que nous sommes un peuple qui n’a pas peur de parler, de débattre.» Sur les solutions envisageables? «Un grand trouble a gagné les esprits. Il nous faut y répondre par des idées claires.» Le jeune chef de l’Etat voit dans ce «grand débat» un possible antidote à la démagogie ambiante. Un pari qui sera difficile à tenir sur la question de l’immigration et celle de la laïcité.
3•DÉGAGER DES QUESTIONS PRIORITAIRES
Le point faible de la lettre d’Emmanuel Macron était de ne rien dire des modalités concrètes du «grand débat national» et surtout de la collecte, du 15 janvier au 15 mars, des doléances des Français et de leurs élus locaux. Un mode d’emploi plus précis a été publié lundi, confirmant la nomination de deux ministres coordinateurs (Sébastien Lecornu et Emmanuelle Wargon), assistés par une «mission du grand débat national» dirigée par un «collège des garants» de cinq membres bientôt nommés. Un numéro vert est mis en place (0800 97 11 11) et, à partir du 21 janvier, les propositions pourront être déposées sur le site www.granddebat.fr. Des «kits méthodologiques» seront mis à disposition des élus, avec fiches thématiques. Des «stands de proximité» seront ouverts. Des conférences citoyennes régionales seront organisées avec des citoyens tirés au sort à partir du 1er mars.
Sur l’issue finale de cette consultation en revanche, une hypothèse circule: celle d’une liste de questions d’ampleur nationale (sur le mode de scrutin, le référendum et quelques mesures fiscales) que le président français pourrait choisir in fine de soumettre aux électeurs pour approbation ou refus, même s’il prévient, dans sa lettre, que ce débat n’est «ni une élection, ni un référendum». La date du 26 mai, celle des élections européennes, pourrait s’y prêter. Avec toujours le même risque: obtenir alors que les Français votent sur les mesures envisagées. Et non pour ou contre son maintien à l’Elysée. ▅