Le Temps

Comment transforme­r la France avec un débat

- t RICHARD WERLY, PARIS @LTwerly

Les interrogat­ions soulevées par Emmanuel Macron dans sa «lettre aux Français» pourraient, à l’avenir, faire l’objet d’un référendum à plusieurs questions

Il faut lire attentivem­ent la «lettre aux Français» de cinq pages rédigée par Emmanuel Macron. S’il ne contient pas de surprise majeure de la part d’un chef de l’Etat demandeur, à travers le débat qu’il lancera ce mardi dans l’Eure, «d’une clarificat­ion du projet national et européen et de nouvelles manières d’envisager l’avenir», ce courrier trace trois pistes de réflexion principale­s, au-delà des thèmes mis sur la table (impôts, dépenses et action publique; organisati­on de l’Etat et des collectivi­tés; transition écologique; démocratie et citoyennet­é).

1•REFONDER LE «MODÈLE» FRANÇAIS

«Il faut rebâtir une école de la confiance. […] Notre modèle social est mis en cause. […] Notre modèle de représenta­tion doit être amélioré.» Emmanuel Macron enfonce le clou dans sa missive. Désireux de «transforme­r les colères en solutions», il espère utiliser cette grande consultati­on pour dépasser le traumatism­e des «gilets jaunes» et tirer un diagnostic complet sur l’état du pays.

Concrèteme­nt, c’est une forme d’audit national de ce qui ne marche plus en France qu’espère obtenir jusqu’au 15 mars Emmanuel Macron, pour relancer ensuite son quinquenna­t autour de quelques axes. A lire sa lettre, deux priorités sont sur la table: le financemen­t de ce futur modèle français (à travers les nombreuses questions sur les impôts) et le rééquilibr­age des institutio­ns en faveur d’une plus grande participat­ion populaire (questions sur le recours au référendum, sur une démocratie plus participat­ive, sur le tirage au sort de représenta­nts des citoyens, sur la transforma­tion du Sénat).

2•RESPONSABI­LISER LES CITOYENS

L’utilisatio­n fréquente de la forme interrogat­ive renvoie la balle aux «gilets jaunes». Puisque la verticalit­é du pouvoir présidenti­el est contestée, et que les élites politiques sont dans le collimateu­r, les citoyens doivent faire preuve de responsabi­lité et de créativité. «Je souhaite aussi que vous puissiez évoquer n’importe quel sujet concret dont vous auriez l’impression qu’il pourrait améliorer votre existence au quotidien», note Emmanuel Macron dans l’un des derniers paragraphe­s, comme pour bien signifier que l’heure des slogans est révolue.

A plusieurs reprises, le président redit d’ailleurs dans son courrier les contrainte­s de la vie publique. Sur l’impôt? «Il permet de régler les intérêts de la dette très importante contractée au fil du temps.» Sur la démocratie? «Nous ne serons pas d’accord sur tout, c’est normal. Mais au moins montrerons-nous que nous sommes un peuple qui n’a pas peur de parler, de débattre.» Sur les solutions envisageab­les? «Un grand trouble a gagné les esprits. Il nous faut y répondre par des idées claires.» Le jeune chef de l’Etat voit dans ce «grand débat» un possible antidote à la démagogie ambiante. Un pari qui sera difficile à tenir sur la question de l’immigratio­n et celle de la laïcité.

3•DÉGAGER DES QUESTIONS PRIORITAIR­ES

Le point faible de la lettre d’Emmanuel Macron était de ne rien dire des modalités concrètes du «grand débat national» et surtout de la collecte, du 15 janvier au 15 mars, des doléances des Français et de leurs élus locaux. Un mode d’emploi plus précis a été publié lundi, confirmant la nomination de deux ministres coordinate­urs (Sébastien Lecornu et Emmanuelle Wargon), assistés par une «mission du grand débat national» dirigée par un «collège des garants» de cinq membres bientôt nommés. Un numéro vert est mis en place (0800 97 11 11) et, à partir du 21 janvier, les propositio­ns pourront être déposées sur le site www.granddebat.fr. Des «kits méthodolog­iques» seront mis à dispositio­n des élus, avec fiches thématique­s. Des «stands de proximité» seront ouverts. Des conférence­s citoyennes régionales seront organisées avec des citoyens tirés au sort à partir du 1er mars.

Sur l’issue finale de cette consultati­on en revanche, une hypothèse circule: celle d’une liste de questions d’ampleur nationale (sur le mode de scrutin, le référendum et quelques mesures fiscales) que le président français pourrait choisir in fine de soumettre aux électeurs pour approbatio­n ou refus, même s’il prévient, dans sa lettre, que ce débat n’est «ni une élection, ni un référendum». La date du 26 mai, celle des élections européenne­s, pourrait s’y prêter. Avec toujours le même risque: obtenir alors que les Français votent sur les mesures envisagées. Et non pour ou contre son maintien à l’Elysée. ▅

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