L’affichiste Exem crie au vol de dessin
L’artiste genevois va porter plainte contre l’Association des juristes progressistes. Celle-ci a utilisé un logo réalisé par lui pour combattre la loi sur la laïcité de l’Etat, alors qu’il a mis son coup de crayon au service de celle-ci. Confusion et polémique
«Je ne suis pas un mercenaire. L’Association des juristes progressistes (AJP) a volé mon dessin, je vais porter plainte.» Courroucé, le dessinateur genevois Exem, qui en a appelé à la presse, lundi matin, pour partager son émoi. En cause: une affiche de cette association appelant à voter non à la loi sur la laïcité de l’Etat (LLE) et reproduisant un de ses dessins, réalisé voilà vingt-cinq ans, aux fins de représenter le logo de l’AJP.
Le problème, c’est qu’Exem a décidé de mettre son talent dans cette campagne au service d’une autre association, «La laïcité, ma liberté», qui prône le mot d’ordre inverse: un oui à la loi, figuré par un aigle genevois aux allures de statue de la Liberté, brandissant la clé en lieu et place de la torche. «Je n’accepte de dessiner pour les campagnes politiques que lorsque je souscris à leur objet. Dès que cela est contraire à mes convictions, je refuse le travail», explique Exem. Il aurait donc décliné s’il avait été sollicité. Mais tel ne fut pas le cas: «Je n’ai pas été approché par l’AJP. Le logo que j’avais réalisé pour cette association a été retravaillé en lissant le trait, ce que je n’apprécie pas, et détourné au profit de cette campagne. Ma signature a été conservée, avec l’ajout d’une virgule, peut-être pour noyer le poisson.» «Violation du droit d’auteur»
Au-delà de la coquetterie d’artiste, c’est une atteinte à sa crédibilité qu’il dénonce. Pourtant, ce n’est pas la première fois que l’AJP réutilise le logo dessiné par Exem. Mais au moins sollicitait-elle son accord préalable. Pour le dessinateur comme pour Pierre Gauthier, président du Parti radical de gauche, Natacha Buffet-Desfayes, députée PLR, et Vincent Schmid, ancien pasteur de la cathédrale, tous membres de «La laïcité, ma liberté», il s’agit d’une violation du droit d’auteur. Notamment en ce que l’AJP utilise une oeuvre sous une désignation fausse ou différente de celle qui avait été décidée par l’auteur. «On peut s’interroger sur la compétence de juristes dits progressistes qui violent les droits d’auteur», ironise Pierre Gauthier. Il ne sera pas déçu par leur réponse. Contactés, ils ont opté pour une pirouette hors sujet. Dans un communiqué de presse, les coprésidentes Clara Schneuwly et Camille Maulini refusent de «se prononcer davantage sur cette question de forme», ayant «utilisé comme d’habitude le logo d’Exem», mais se montrent toutes disposées à s’exprimer sur leur position «contre cette loi discriminatoire».
Ça n’était pas la question. D’ailleurs, les opposants à la loi (l’ensemble des syndicats, les partis et associations de la gauche) tenaient conférence de presse au moment où l’affichiste fustigeait l’attitude d’un des leurs. Preuve, s’il en est besoin, que la laïcité enflamme la République. Seul canton, avec Neuchâtel,
«Je n’accepte de dessiner pour les campagnes politiques que lorsque je souscris à leur objet»
EXEM
à la connaître, Genève a voulu remettre au goût du jour la loi de 1907, sous l’impulsion du conseiller d’Etat Pierre Maudet. Après deux ans et demi de débats parlementaires nourris et d’amendements, le Grand Conseil a accouché d’une loi attaquée par quatre référendums et qui sera soumise au peuple le 10 février. A gauche, elle divise, même si le PS et les Verts appellent à la combattre. C’est désormais autour des dessins d’Exem qu’on s’affronte.
Pour «La laïcité, ma liberté», association non partisane très active dans cette campagne, cette nouvelle polémique n’est-elle pas du pain bénit – si on ose dire? «Non, car cette affaire met en cause notre crédibilité, répond Pierre Gauthier. Elle jette la confusion et fait douter l’électeur de la position philosophique d’Exem.» Reste que peu d’admirateurs du dessinateur repéreront dans les rues de Genève sa patte utilisée pour le oui comme pour le non. Si cette contradiction n’est pas de nature à changer le cours du vote, elle est, pour l’artiste, révélatrice d’une méthode indigne: «Je travaille beaucoup avec des gens de gauche qui veulent changer le monde. Voler les dessins des copains dénote un comportement dénué de toute éthique.» L’artiste va demander de faire retirer immédiatement cette affiche du domaine public. Pas si simple. Car à la Chancellerie, on fait savoir que, s’agissant des droits d’auteur, on ne peut retirer une affiche sans une décision de justice.
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