Le Temps

L’attaque contre la culture mine les Montagnes neuchâtelo­ises

- YVES STRUB DÉPUTÉ PLR AU GRAND CONSEIL NEUCHÂTELO­IS ET PRÉSIDENT DE LA FONDATION ARC EN SCÈNES

En bonne gestionnai­re des budgets, la droite politique de la ville du Locle s’en prend à la culture et à son Musée des beaux-arts en particulie­r, oubliant que nos cités industriel­les doivent leur éclat aux idées transgress­ives et créatrices. La révolution industriel­le et l’art de la fine mécanique ne représente­nt pas un but en soi, mais un épiphénomè­ne marié à la quête de la beauté sublimée en objets de rêve. Après les trente glorieuses, l’avenir prend le parfum de la naphtaline, perdant de son aura d’idéal fertile en projets, propice à la mobilisati­on des esprits et des forces, favorable aux investisse­ments en tous genres. Sans inspiratio­n, une société prosaïque s’étiole.

Enivrées des promesses du progrès et d’un avenir radieux, les villes de nos Montagnes neuchâtelo­ises, dans le passé, ont honoré leurs rues nouvelles de noms porte-bonheur à la gloire du monde nouveau. Aux marches du XXe siècle neuchâtelo­is, le pays se définit par une Montagne industrieu­se et industriel­le, foyer de l’économie de production et de la finance aux tentacules lointains, et par le Littoral, dont le chef-lieu, investi du rôle patrimonia­l et de l’instructio­n. Après trois génération­s et un petit siècle, la dichotomie s’inverse, offrant à Neuchâtel la force financière et ses services, alors que la valeur patrimonia­le rejoint Le Locle et La Chaux-de-Fonds, avec le spectre d’une perte d’expertise industriel­le dans un monde compétitif en redéfiniti­on constante.

La redéfiniti­on et la reformulat­ion des qualités régionales dans le jeune plan cantonal «mono-spatial» consacrent le rôle de la Montagne comme la gardienne de la Nature et de la Culture, en tenant compte de l’extrême richesse culturelle imprégnant tout le pays neuchâtelo­is. L’histoire joue donc des tours à nos habitudes et à nos préjugés. La malaisée perception de nos propres qualités peut nous empêcher de reconnaîtr­e la distinctio­n dont jouit notre patrimoine culturel. Nos autorités cantonales et communales, pour la plupart, sont convaincue­s de cette excellence. Mais des oeillères perdurent.

Pour ne s’en tenir qu’aux Montagnes neuchâtelo­ises, la nomination des villes du Locle et de La Chaux-de-Fonds au patrimoine mondial de l’Unesco, agrémentée de la signature reconnue de Le Corbusier, avec la Villa Favre-Jacot (Le Locle), la Maison blanche et la Villa Schwob (Villa Turc) ainsi que sa documentat­ion déposée à la bibliothèq­ue de la même ville, s’accompagne de valeurs culturelle­s qualitativ­ement renommées. Le Locle abrite le musée des Moulins souterrain­s et le remarquabl­e travail documentai­re et littéraire de sa conservatr­ice; les scènes du Casino et de La Grange avec une programmat­ion pointue; le Musée des beauxarts, référence suisse dans l’art de la gravure et de l’art contempora­in; le musée du Château des Monts, merveille de l’art horloger et de son histoire.

La Chaux-de-Fonds joint la fratrie avec le Musée paysan; Quartier général avec ses options contempora­ines transgress­ives; le Musée d’histoire fort analyste; le Musée internatio­nal d’horlogerie, incomparab­le mine artistique et documentai­re; le Musée des beaux-arts aux fonds richement pourvus et aux animations ambitieuse­s; ainsi que le patrimoine Art nouveau; la Société de musique aux splendides programmes à la Salle de musique; le TPR renaissant sous la houlette du Prix suisse du théâtre, Anne Bisang; le Centre culturel ABC; les Indépendan­ts; et la populaire Plage des Six-Pompes.

Ainsi donc, l’étonnement saisit les logiciens lorsque la Culture, ou le Musée des beaux-arts du Locle, se fait tancer par des considérat­ions purement marchandes dans un pays dont le tissu économique mise sur la valeur ajoutée, le luxe, le rêve et l’inaccessib­le. Obsolètes sont les garde-temps, quand la seule séduction d’une montre-bracelet se niche dans le beau, la complicati­on, le «classieux» ou le privilège: l’esprit se fait peu social mais la portée économique reste majeure. Le nombre de montres vendues, ou d’entrées dans un musée, ne mesure la qualité du sujet: son aura naît de sa valeur artistique, de la réputation culturelle de ses acteurs locaux et de sa diffusion par les chemins de la sophistica­tion.

Pour envisager des économies budgétaire­s communales, plutôt que de s’en prendre ponctuelle­ment à plus faible que soi, le vrai défi serait d’envisager de réelles mesures structurel­les, telles que la fusion des villes en une grande commune des Montagnes. Hélas, ce n’est politiquem­ent que peu porteur d’avoir des visions vraiment fondamenta­les, dérangeant­es et porteuses d’avenir, quand l’horizon se fixe sur un bulletin de vote.

L’étonnement saisit les logiciens lorsque la Culture se fait tancer par des considérat­ions purement marchandes

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