Albane Schlechten, la fibre alternative au service de la création musicale romande
«J’ai dû trancher: rejoindre la FCMA ou m’engager dans la course au Conseil administratif. J’ai réalisé que je pouvais vivre sans politique politicienne, mais pas sans musique»
ALBANE SCHLECHTEN Hyperactive depuis une décennie dans la défense des cultures alternatives, la Genevoise, autrefois permanente de L’Usine et cofondatrice de La Gravière, dirige désormais la Fondation romande pour la chanson et les musiques actuelles. Et «c’est politique»!
On l'observe en ce matin gris fusil clore une réunion, cherchant encore ses marques dans les locaux fonctionnels qu'elle vient à peine d'intégrer. «Je suis là depuis trois semaines et ça bouge dans tous les sens», reconnaît-elle, manières sobres, sourire pudique et longue chevelure lâchée sur un pull en laine. Qui rencontre Albane Schlechten, 35 ans bientôt, est aussitôt frappé par sa noblesse. Une grâce naturelle faite de simplicité et d'une féroce intelligence qui agit sur quiconque s'entretient avec cette féministe déclarée à présent aux commandes de la Fondation romande pour la chanson et les musiques actuelles (FCMA).
«Faire vivre la ville»
«Durant vingt ans, Marc Ridet, à qui je succède, a oeuvré pour faire de cette fondation une plateforme de soutien indispensable à la professionnalisation des acteurs de la filière musicale romande, résume Albane Schlechten. Mon objectif est de l'ouvrir davantage encore, de multiplier ses activités publiques et de renforcer ses liens avec la scène des musiques actuelles.» Les forces et faiblesses du rock, du rap ou de l'électro romands, les moyens à déployer afin que des carrières d'artistes se développent, les stratégies à imaginer pour que s'épanouisse un vivier de créateurs indépendants: ces questions occupent depuis une grosse décennie la Genevoise d'origine bernoise. Devenue «un peu par accident» permanente de L'Usine en 2007, l'ex-étudiante en sciences politiques, un temps stagiaire au sein de l'organisation de lutte contre le sida Act Up-Paris, se bat depuis pour que vive une «culture alternative, autogérée, démocratique» et que recule «l'appauvrissement des scènes créatives indépendantes».
Volontaire par tempérament, engagée par choix, stratège par nécessité, goûtant aussi la confrontation «pourvu que l'humour soit privilégié», Albane embrasse la cause des cultures alternatives quand Genève connaît une fermeture massive de ses squats: Rhino ou la Tour, puis Artamis. «On s'est dit: on est nul, se souvient-elle. On laisse boucler nos lieux sans protester. On s'est alors mobilisé autour de l'Union des espaces culturels autogérés, organisant des manifestations, nous présentant aux politiques en interlocuteurs incontournables. Durant cette période, j'ai appris à porter un discours dans l'espace public et à m'adresser aux représentants du pouvoir. Quand on leur faisait visiter L'Usine, qu'on leur expliquait combien un endroit consacré à la culture contribue à faire vivre une ville, ils s'étonnaient qu'on y possède des bureaux. Ils pensaient que tout ce qu'on créait était ébauché sur un coin de table en buvant des bières!»
«Total pack»
Mais six ans de combats menés au nom de L'Usine et de «la diversité de l'offre socioculturelle à Genève», ça use et pèse. La vie privée se confond avec l'engagement. Les nerfs trinquent au gré de négociations engagées avec les politiques ou les dix-huit collectifs installés 4, place des Volontaires. «Quand on est inscrit dans une structure pareille, c'est difficile de ne pas choisir la version «total pack», concède Albane Schlechten. Mais après le vingt-deuxième anniversaire de L'Usine, je sentais que j'avais fait le tour.»
D'autant que la transformation d'un ancien magasin de pétrochimie en un espace culturel l'absorbait désormais: La Gravière. Pour cadre, un cube de béton armé au bord de l'Arve appelé à devenir un «petit club dans le style Berlin». Pour voisinage, le nouvel hôtel de police, dont l'endroit occupe le parking. Pour ambition, l'invention d'«un territoire artistique égalitaire ouvert à différentes propositions». Négociations avec le canton, coordination des travaux, chasse aux autorisations, élaboration de la programmation, pilotage des activités du lieu: dès 2012, Albane Schlechten confond sa vie avec celle d'un territoire qui accueille Feu! Chatterton ou Timber Timbre.
Fin 2016, elle jette finalement l'éponge, «éreintée», d'autant que «d'autres engagements exigeants» la portent: le label We Can Dance It monté avec Dominique Rovini, codirectrice du festival Les Créatives, destiné à «agir sur les questions de sexisme et d'exclusion dans les clubs», la vice-présidence du Grand Conseil de la nuit, association pour la vie nocturne genevoise, enfin la casquette de conseillère municipale et cheffe de groupe à la Ville de Genève acquise en 2015 sous les couleurs socialistes.
«On a fait instaurer une fiche «vie nocturne» dans le plan d'aménagement du grand projet Praille-Acacias-Vernets alors qu'aucun enjeu culturel n'y était envisagé, une victoire», assure Albane, qui, jeune et douée, aurait alors pu prétendre à faire de la politique son métier. Sauf que de plan carrière, il n'en existe pas chez cette sympathisante de
#MeToo. En janvier 2017, sa trace se trouve ainsi à Fribourg, où elle coordonne l'action romande de la Fédération suisse des clubs et des festivals de musiques actuelles. Un an plus tard, la voilà à Nyon. Un choix «qui vient des tripes», jure-t-elle. «J'ai dû trancher: rejoindre la FCMA ou m'engager dans la course au Conseil administratif de 2020. J'ai réalisé que je pouvais vivre sans politique politicienne, mais pas sans musique.»